“Les Oscillants” de Claudio Morandini
La narratrice et protagoniste de ce roman de Claudio Morandini est une jeune ethnomusicologue qui arrive de la ville à Crottarda, un village de montagne quasiment toujours plongé dans l’obscurité car le soleil n’y brille que très rarement. Le décor d’une histoire noire est déjà planté. Les maisons, les murs et même les rares enseignes et les quelques bancs où personne ne s’assied jamais, ainsi que les panneaux routiers, sont toujours tapissés d’une épaisse mousse sombre.
La jeune femme veut étudier les chants mystérieux qu’elle attribue aux bergers—chants qu’elle avait entendus enfant alors qu’elle passait des vacances dans ce village et dont elle garde un souvenir marquant et fascinant. C’est en scientifique qu’elle veut commencer ses recherches—Il faudra enregistrer les appels, les transcrire, analyser leurs composantes sémantiques, les déchiffrer, en tirer un répertoire : une perspective terriblement excitante, pour une chercheuse d’étrangetés musicales comme moi—mais les choses prennent une tout autre tournure de ce qu’elle escomptait et très vite, elle sent que tout lui échappe.
Elle est confrontée à la présence d’êtres humains étranges et inquiétants, prenant la forme de monstres qui évoluent dans une ambiance de nature froide, humide et hostile. Elle ne sait si on l’accueille ou bien la rejette. Elle finira par ne plus rien comprendre à ce monde qui oscille entre réalité et illusion, rêve et cauchemar, attraction et rejet, lumière et obscurité. Les contours des personnages de cette communauté fermée sur elle-même sont flous et tordus, se fondant dans la noirceur qui engloutit. En face de ce village se trouve un autre village qui lui est baigné constamment de soleil. D’étranges sentiments d’hostilité sauvage et inexpliquée régissent la vie des deux villages. C’est un monde où la réalité s’englue dans l’absurde et le grotesque. Un piège se referme sur la narratrice dont elle ne peut se libérer, en proie à un sentiment de fascination/répulsion.
L’auteur mêle la farce, l’humour, le comique aux aspects dramatiques et tragiques pour nous entraîner de main de maître dans cette fable à la magie fascinante.
Ils oscillent, mes pauvres Crottardais, entre le besoin de se cacher et la nécessité de sortir à découvert, de respirer l'air de dehors ; entre l'exigence de s'exprimer et le mutisme, entre un festin des sens, de tous les sens, y compris ceux que nous autres ne savons plus exercer, et la fermeture de tous les orifices dans le silence, dans l'obscurité complète, dans l'absence de contact ; entre un au-dessus qui s'éloigne et devient inatteignable, ou qui écrase et oppresse, et un au-dessous dans lequel s'enfoncer, enfin, et continuer de nourrir du ressentiment et des inquiétudes ; entre humain et non-humain ; entre vivant et non-vivant. Les oscillants, ai-je envie de les appeler. Et je finis par me sentir un peu oscillante moi aussi.
Les Oscillants
Claudio Morandini
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions Anacharsis (2019)









