“La part des cendres” de Emmanuelle Favier
Yves Izard • 22 août 2025
Curieux hasard que de jeter un œil sur la série
Napoléon avec Christian Clavier au cœur de l’incendie de Moscou alors que je venais d’entamer le livre d’Emmanuelle Favier
La part des cendres où
un fonctionnaire de l'Empire, Henri Beyle — qui n’est pas encore Stendhal — déambule dans Moscou qui flambe.. Et ce Napoléon là,
ivre de rage après cette victoire décevante ne sera que le premier personnage illustre de ce roman foisonnant. Cette fresque monumentale couvrira deux siècles de tumultes où l'on va croiser tant les monstres de l'Histoire que les héros anonymes et les écrivains en devenir, tant les œuvres d'art les plus inestimables, naviguant de célèbres musées en caves introuvables, que les trésors modestes cachés comme un secret de famille au gré des guerres et des spoliations.
Ainsi en juillet 1815, les
cosaques font de nouveau résonner fièrement leurs sabres sur le pavé parisien, c’est un cliquètement… comme
la scie de la défaite impériale, tandis que
les chefs-d’œuvre européens quittent le Louvre, comme si
le sang de l'éphémère musée Napoléon s'écoulait en rigoles aux quatre coins de l’Europe. Quelques mois plus tard
c’est l’Autriche qui rend à Venise ses chevaux de St-Marc saisis par Napoléon à la fin du siècle précédent. Mais Venise n'est plus. Les beaux chevaux d'airain reviennent mais ils ne sont plus eux mêmes d'avoir été jugulés par les brides du Corsicain ; Comme les êtres, les objets gardent en mémoire qui s’empilent et sédimentent les humiliations subies. Ainsi voyagent les œuvres,
ces objets, las de servir de monnaie d’échange à la médiocre gloire des hommes écrit Emmanuelle Favier dans une langue engagée et précise qui raconte l’Histoire à
hauteur d'hommes et de femmes si l'on peut dire.
Car voilà que
Cinq ans après que Moscou a léché ses plaies napoléoniennes, nous découvrons Sophie à travers
la forêt russe qui lui fait ses adieux. Elle part rejoindre son Père Fiodor à Paris et profite
de ce voyage pour
écrire, entre deux chaos, son journal intime
dans un français élégant, de nouveau en odeur de sainteté dans la bonne
société russe ; un manuscrit qu’elle cache dans un coffret dont on suivra l'itinéraire, comme un fil conducteur du roman à travers sa descendance russe à Paris, et qui finira entre autres, par rendre célèbre
la Comtesse de Ségur qu'elle était devenue !
Pendant ce temps à Sébastopol on croise le soldat Lev Nikolaïevitch Tolstoï, 27 ans, qui a
choisi malgré le succès naissant, de rejoindre le front. Face à la mort, l'écrivain observe le désastre, puis pleure de honte et de colère quand Sébastopol est
abandonnée à l’ennemi français…
Comme à Moscou, comme ailleurs, chacun voit victoire à sa porte et choisit Sa version de l'Histoire pour l'avenir.
Quand à Paris la commune
ravage la capitale, c’est
sous l’œil narquois d'un Rimbaud hypothétique, supérieur d'un Hugo et méprisant d'un Gautier. Mais quand Tolstoï, qu’on retrouve dans
la solitude d'une maisonnette de chef de gare…pour mourir chez les humbles, le monde entier s'y précipite. C'est un Christ profane, un chamane mongol qui s'apprête à mourir dans une telle ferveur qui
fait ressembler les funérailles de Victor Hugo, qui vingt cinq ans plus tôt ont voilé Paris de noir, à un enterrement de village. Le père de la Russie éternelle,
indigné par l'absurdité du monde et l'indécrottable déraison humaine tient sa revanche.
Aurait-il survécu à la signature du grand traité de PAIX à Versailles vue comme une Comédie humaine par Emmanuelle Favier avec ses costumes, les melons, les pantalons bouffants , et les uniformes qui se croisent , avec l'arrivée de
l'ennemi Allemand accueilli
par le reproche venu des tranchées que font les trous, les bosses, les aberrations faciales, les absences de membres des cinq gueules cassées que George Clémenceau, qui a le goût de la mise en scène, a sorti des hôpitaux ! La signature historique sera filmée, une première et,
autre fait inédit, le traité est rédigé en anglais. Deux siècles de domination de la langue française dans la diplomatie
trouvent ici leur terme. C'est en distillant ces détails qui n'en sont pas qu'Emmanuelle Favier met en musique la partition de l'Histoire.
On comprend que les biens spoliés par les États et Les hommes sont indissociables des guerres, au point d'occuper plusieurs centaines de pages de ce qu'on appelle communément l'entre deux guerres qui est un formidable marché de l'art, où l'on croise
tous
les fous massacreurs monstres de l'Histoire et l'on se dit que ce n'est donc pas nouveau et que tous les génies d'abord anonymes avant de devenir icônes et âme de la culture qui fait qu’on croit encore en l'homme, ont souvent un parcours très ambigu. Ce qui l’est moins, c'est la montée du nazisme avec les autodafés de Berlin où sont
brûlées les milliers de pages de tous les intellectuels juifs, pacifistes ou simplement modernes, alors qu'explosent les ventes de Mein Kampf
grâce à l'efficacité publicitaire de Joseph Goebbels qu'on retrouve à la tribune, petit, singulièrement laid et sa bouche très féminine en grimaces dérangeantes. Il frappe l'air d'un tranchant parkinsonnien de la main à chacune de ses paroles .
En quelques pages, avec les mots choisis, aiguisés, comme le montrait avec sa caméra Bertrand Tavernier dans sa très brève séquence du bus où tous les passagers étaient frappés de l'étoile jaune, Emmanuelle Favier montre ce qu’on ne voulait pas voir. Et que cette phrase étrange de Virginia Wooulf mise en exergue du chapitre consacré à l'unique rencontre entre l'écrivaine britannique et Marguerite Yourcenar, aurait pu éclairer. De cette
rencontre, aussi stérile que celle entre Proust et Joyce qui avait fait couler beaucoup d'encre, entre cette jeune femme de trente trois ans, pleine de fougue mais dont l'accent soutenu par un phrasé extraordinaire, marqué par sa classe, lui confère une aura inédite à tout ce qu'elle prononce, et Virginia, qui s'essaie à articuler un français travaillé dans les pièces de Molière avant de retomber dans son anglais de Kensington , rien de bien grandiose, là non plus, n’en est sorti dont on ait eu connaissance. Et Emmanuelle Favier d'assumer :
notre liberté comme notre devoir d'auteur — où d’autrice,
sont d'imaginer Marguerite répondant à la question de Virginia : Mais qu’aimez vous ?
— Il n'y a que Tolstoï, le maître des maîtres.
Et de conclure de cette visite d'abord motivée par une affaire de traduction d'un des romans de Woolf :
Une sidérante rencontre de ces deux poétiques, en lutte presque, en harmonie tout à fait.
Alors que les œuvres continuent leur exil où leur retour, Marguerite Yourcenar
que le tourisme indiffère veut quitter ces accablants quais de Garonne où s'entasse la cohue des exilés, migrants, soldats, juifs, dans le regard desquels ne passe plus rien, alors que se poursuit le triage des oeuvres d'art et une documentation historique polie, pour récupérer les spoliés pour les restituer aux propriétaires, alors que les nazis avaient
enlevé les pages identifiées. Au-delà de ces histoires sans fin et de trier aussi ceux qui partent de ceux qui restent, on préfère jeter un œil sur le procès de Nuremberg de novembre 1946 qui restera
un enfer babélien avec ses traductions simultanées et ses cinq cents spectateurs tous hommes. Mais un PROCÈS avec un chef d'accusation « crime contre l'humanité »et non Un traité de paix dans une ville détruite où la plupart des journalistes sont repartis avant, à quelques exceptions près comme Kessel qui des années plus tôt avait caché sa judéité pour enquêter dans les bas fond d'un troquet berlinois. Il avait écouté Hitler préparer les ouvriers des quartiers pauvres à la haine dont allait se nourrir son ogre et Kessel de dénoncer les haines raciales dans le Matin de Paris dans des articles d'une âpreté de regard stupéfiant où surgit le masque de Goering, l'image même de la cruauté défaite par la peur.
Heureusement en juin 1946 sort le film
les malheurs de Sophie, comme un retour
des joies frivoles, pour passer à autre chose que les recherches interminables sur les SPOLIATIONS d'oeuvres d'art de littérature qui ont tout de même le mérite d'éclairer une autre dimension
qu’ouvre une infertilité volontaire : Quand Mathilde songe
que la transmission ne se fait pas uniquement de manière verticale, suivant le fil généalogique, mais horizontale, par les rencontres que l'on s'autorise à faire-et à défaire.
Une réflexion récurrente chez Emmanuelle Favier qui répond à ces quelques lignes de Marguerite Yourcenar-encore- en exergue tirées des
mémoires d'Hadrien :
Les liens du sang sont bien faibles, quoi qu'on dise, quand nulle affection ne les renforcent ; on s'en rend compte chez les particuliers durant les moindres affaires d'héritage.
La part des cendres
Emmanuelle Favier
Éditions Albin Michel (2022)
Paru au Livre de poche

Dans son Autoportrait à l’encre noire , Lydie Salvayre tombe le masque et ne fait pas dans la dentelle ! Les premiers mots — J’ai vieilli. J’ai mochi . — sont un constat brut et réaliste qui la force à accomplir un retour sur sa vie et son parcours. Ça ne commence par vraiment sous de favorables auspices d’autant qu’ils sont marqués du sceau de la honte : Arjona, un nom de naissance exécré qu’elle échangera le plus vite possible pour un nom bien français et des parents espagnols à la sombre histoire de malheureux réfugiés en France fuyant la violence d’une guerre fratricide. Des questionnements la taraudent : Quand suis-je née à moi-même ? Est-ce le jour où j’ai décidé de faire de ma honte un objet d’écriture ?... Peut-on mourir sans être né à soi ? Réflexions gravissimes auxquelles l’écrivaine confirmée qu’est devenue Lydie Salvayre ressent l’exigence de se confronter certes sérieusement, mais non sans une bonne dose d’humour, de drôlerie, de dérision, de sensibilité, de franchise. Ceci dit, l’introspection peut démarrer sur les chapeaux de roues : l’autrice avoue sans ambages et en termes crus sa détestation, son profond dégoût envers la littérature nombriliste effrénée et obscène, ce culte de soi à la portée du premier imbécile venu, ce besoin de racoler un public pour remédier au vide de la vie. C’est un fait, la contradiction ne lui fait pas peur, elle se lance elle aussi dans ce jeu de la recherche d’elle-même en s’astreignant à être d’ une sincérité excessive . Avec sa compagne de jeu, une jeune voisine fan de la new romance et adepte inconditionnelle de BookTok, elles se livrent des joutes malignes sur leurs désaccords littéraires, chacune n’y allant pas avec le dos de la cuiller dans la défense de son point de vue. Cependant, l’amitié finit toujours par gagner, adoucissant les angles. C’est d’ailleurs à l’épreuve de cette dichotomie que l’autrice persévère dans sa démarche risquée de plongée intime, au coeur de cette multiplicité des possibles en elle. Elle prend des notes au hasard de ses pensées introspectives, insistant sur sa timidité, son goût de la solitude, son allergie aux codes sociaux, son aversion au voyage (elle préfère de loin voyager dans sa tête avec Rimbaud comme guide touristique ), sa ténacité dans le travail. L’écriture devient une idée fixe, une certitude : J’écris parce que je ne sais pas parler . Et c’est heureux qu’elle écrive pour qu’apparaissent à ses yeux et aux nôtres les mille facettes d’une personnalité attachante parce que sincère dans ses questionnements — C omment réconcilier le rêve et l’agir ? — le rêve d’un engagement social qui lui est cher et le désir de littérature libre de toute allégeance, ne répondant qu’à sa propre nécessité . Son engagement entier dans l’écriture de ses textes la rassure et elle veut croire en sa capacité, s’il le fallait, de surmonter l’idée déprimante du divorce irréparable de l’action et du rêve , tels les mots d’André Breton. Revenant sur la figure de son père, le grand méchant , le coléreux, elle pose la question de l’héritage, considérant sa propre propension à la colère. Elle se rappelle son texte Contre où elle dénonce toutes ces saloperies qui nous sont plus ou moins imposées . Elle laisse libre cours à sa révolte contre l’hypocrisie, l’asservissement, l’abêtissement, contre le blanchissage du noir, du noir de l’encre, du noir de la nuit, du noir de la colère. Non au blanchissage du fric, des mœurs, du sexe, de l’écriture, de l’histoire ! Oui à Charles Péguy, qui affirme qu’ il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée, c’est d’avoir une pensée toute faite. Outre la figure de son père, avec qui elle se réconciliera plus tard lorsqu’elle découvrira fortuitement sous le coup d’une forte émotion, l’origine de sa méchanceté, à savoir que sa méchanceté était l’autre nom de son chagrin , c’est le visage de sa chère mère qui s’impose et à qui elle rend un tendre hommage dans ce livre. Mais ses malheurs d’enfance sont bien réels et c’est dans les livres qu’elle trouve un refuge. Ils vont me venger de ma honte et de ma timidité…suspendre mes peurs et inquiétudes . C’est avec grand respect et un infini amour qu’elle parle de ses lectures — son premier roman Sans famille — de son enthousiasme pour les grands philosophes, Sartre qu’elle découvre avec Le Mur , Nietzsche dont elle lit tous ses livres, Spinoza, Deleuze. Elle relève dans le Discours de la servitude volontaire de La Boétie l’évidente actualité. Elle admire Rabelais pour son outrance, son dédain de la mesure, l’éclat de son rire — rire dont elle regrette qu’il ait perdu de sa superbe aujourd’hui . Et puis il y a la poésie, représentée magistralement par Rimbaud, Baudelaire, Virginia Woolf, Mandelstam, Maria Tsvetaeva, Sylvia Plath et bien d’autres ; il y a Beckett, Carlo Emilio Gadda, et bien sûr Don Quichotte, le rêveur, le subversif, le généreux, le féministe, Quichotte qui meurt dès lors qu’il renonce aux chimères . Aujourd’hui encore, dit-elle, la lecture est le seul sport auquel elle [s] ’adonne . Les livres sont toute sa vie. Comment est-elle passée à l’écriture ? D’où vient ce désir impérieux d’écrire ? J’écris donc je suis — expérience ambitieuse d’une naissance à soi-même. Mystère d’une écriture entre deux langues , celle parfaite des classiques et celle de la rue, désentravée, malicieuse, effrontée, créative, librement espagnolisée par [sa] mère , que d’aucuns pourraient qualifier de vulgaire. Mystère d’une révélation troublante d’un moi double. D’autres événements bouleverseront sa vie, comme le diagnostic d’un cancer — Je découvris que je pouvais exister sans les atours que donne la bonne santé — dont elle supportera les traitements grâce à l’aide de quelques amis et surtout de son compagnon de vie, figure essentielle à ses côtés. Bornes marquantes dans le parcours de Lydie Salvayre furent ses expériences dans une clinique psychiatrique, paradoxalement pour elle un moment de répit , puis dans son travail de pédopsychiatre auprès d’enfants dits en difficulté. La confrontation aux vicissitudes de la vie amène Lydie Salvayre à reconnaître que nous ne sommes jamais finis mais toujours, toujours en mouvement. Et que ce mouvement s’appelle la vie. La vie que l’écrivaine Lydie Salvayre célèbre dans la littérature et l’écriture : J’appelle journée perdue une journée sans écriture. Savourons enfin, d’autant plus qu’il y est fait un clin d’œil à Sète, les derniers mots de cet autoportrait décidément bien original : « Mes chers lecteurs, si j’ai un vœu à formuler en terminant cet autoportrait, c’est que vous vous souveniez de moi comme d’un vent fripon » . Autoportrait à l’encre noire Lydie Salvayre Éditions Robert Laffont, collection Pavillons (septembre 2025) Lydie Salvayre présentera son livre dans le cadre du Festival du Livre de Sète — Les Automn’Halles, dimanche 28 septembre 2025 à 14h30, à la Médiathèque F. Mitterrand.

L’auteur ouvre son Concours de pêche en le dédiant à son ami Toto Neige, à l’origine de ce roman, ainsi qu’à tous ces clochards célestes sans lesquels il manquerait quelque chose au monde . Dans les premières pages, Alex, le narrateur nous invite à le suivre le long d’un quai avec son enfant Jonas qui découvre sous un palmier une dalle avec inscrit « ici a vécu Jonas le pêcheur ». Le Jonas que j’ai connu était l’homme le plus gentil du monde . Lui dit-il. Je vais même te dire un secret, c’est grâce à lui si tu t’appelles Jonas . Il lui fait alors la promesse de lui raconter l’histoire de Jonas le pêcheur, plus tard, quand il sera plus grand. L’histoire d’un miracle . Mis sous pression par son boss , Alex croule sous un gros dossier, une de ces tours géantes qu’on aperçoit en atterrissant à Charles-de-Gaulle imaginées pour des gens qui y vivent. Son travail d’architecte c’est de faire en sorte qu’ils y restent le plus longtemps possible . La vie parisienne l’assomme, une vie au milieu de fantômes cravatés, les cernes tirés jusque là, éteints comme des cierges consumés . Un soir qu’il manque l’arrêt de sa station de métro et finit le trajet à pied, il surprend sa compagne à la terrasse d’un restaurant, dans les bras d’un autre, dont elle s’extirpe par un guttural « désolé Alex ! » . Il venait de casser sa tire-lire pour un gros diamant, décidé à lui faire sa demande dans le mois. Cinq années de vie commune partent en sucette et s’en vont valdinguer sur le trottoir. Il reconnaît pourtant qu’elle l’a libéré d’ un cachot où il s’était enfermé lui-même à double-tour, en jetant la clé par la fenêtre . Un coup de pouce du destin qui le fera plonger dans l’alcool et enjamber son balcon d’où il tombera… du bon côté. jusqu’à trouver la rédemption auprès d’un réconfort maternel et d’un miroir qui renvoie l’image hirsute d’ un drôle de type. Un amour perdu peut mener à ça, une sorte de clandestinité vis-à-vis de soi-même . Et une résolution, avant que s’ouvre le chapitre paternel, Je vais voir la mer, là où est papa . La disparition du père, parti pêcher seul en mer, est l’occasion pour l’auteur, et pour Jack London, de nous rappeler, que l’on peut partir à la manière de Martin Eden, dans un océan de désespoir qui prend fin quelque part dans les abysses intimes et sourdes . La veille de son ultime sortie en mer, il avait emmené son fils pêcher au phare de Roquerols sur l’étang de Thau (…) Ses yeux étaient mouillés comme la coque d’un bateau flottant à la dérive . À Sète, en pleines festivités de la Saint-Louis, Alex revient loger sous un toit du quai d’Orient, avec sous les yeux le croisement des canaux et des ponts, et le douloureux rappel d’un lointain bonheur familial. À une encablure de là, à la terrasse animée du Barbu (devenu depuis quelques semaines le Bar Muge) Alex fait l’apprentissage auprès d’une autochtone de quelques leçons de savoir-vivre sétois, c’est-à-dire sans savoir-vivre du tout, sinon la gentillesse du cœur , qui, au réveil s’avèrent être tarifées. Plus tard et sans le vouloir, Alex le Parigot se retrouve au beau milieu d’une partie de pêche le long du canal , découvrant à la fois la scène et les acteurs d’une comédie dramatique à la sétoise. Il aura beau faire valoir une naissance des plus locales, Auguste et ses comparses le traiteront comme il se doit en île singulière, un estranger , trahi par le manque d’accent d’ici-bas. À force d’invectives et de fanfaronnades, voilà Auguste qui met au défi le plus vieux d’entre eux, surnommé le Turc , d’accrocher une dorade royale de 5 kilos, pas un de moins, prenant le quai de la République et ses flâneurs à témoins. Le Concours est lancé. L’Ancien sortira de sa torpeur pour une ultime bravade. Pour son Concours de pêche , Loris Chavanette en appelle à l’auteur du Vieil homme et la mer , autant que du vieil homme et l’amertume, ce fil discret comme un goût salé qui persiste et révèle des valeurs hemingwayennes : La perte et la privation . Alex vit avec une blessure d’enfance qui ne s’est jamais refermée : la disparition en mer de son père. Ce vide n’est pas seulement une douleur, c’est aussi une forme d’amertume envers le destin — un sentiment que la vie a triché, qu’elle lui a pris quelque chose de fondamental avant qu’il ait pu se construire. Cette aigreur se renforce au moment de la rupture amoureuse, comme une perte réveille les précédentes. Les affres du temps perdu. Le roman nous dépeint un homme qui, en revenant à Sète, mesure la distance entre ce qu’il aurait pu vivre et ce qu’il vit. Ce constat donne un ton désabusé, teinté d’une mélancolie que semble incarner Jonas l’Ancien , objet de toutes les attentions et de tous les superlatifs. Le concours, en apparence anodin, devient le théâtre de cette confrontation au temps qui passe — un temps qui n’a pas toujours été bien employé, ou qui a filé sans laisser de traces heureuses. L’âpreté des vies cabossées. Jonas, le sans-abri, incarne une autre forme d’amertume : celle des coups reçus par la vie et qui finissent par former une carapace. Derrière son pari du briquet en or, il y a sans doute des pertes, des humiliations, et la nostalgie d’un passé révolu. Ce personnage fait écho à Alex, comme un miroir de ce qu’il aurait pu devenir. Enfin, une amertume adoucie par la rencontre. Même si le roman laisse planer ce goût amer, il ne s’y enferme pas. Les dialogues colorés, les situations cocasses, la tendresse qui se noue entre Alex et Jonas viennent diluer cette sensation. On pourrait dire que le roman n’est pas une plongée dans l’amertume, mais une t entative de la transformer — comme si le sel de la mer pouvait devenir saveur plutôt que blessure. Le Concours de pêche Loris Chavanette Allary Éditions (21 août 2025) Loris Chavanette, historien et romancier, présentera son roman samedi 23 août à 11h, à bord de l’Amadeus, amarré, comme il se doit, quai de la République. Il est l’auteur de La Fantasia (Albin Michel, 2020), prix Méditerranée du premier roman.

J’avais une petite appréhension en extirpant mon Dans la foule de ma pile à lire : les livres qui vous ont profondément marqué sont rares, et parfois, les reprendre vous amène à vous demander pourquoi vous leur avez consacré tant d’attention, toutes ces années. Un livre qu’on a aimé, c’est comme une histoire qu’on a vécue, on a toujours un peu peur d’en avoir enjolivé le souvenir. Mais là, c’est un nouveau coup de poing reçu à l’estomac, la (re)lecture de ce roman qui avait déjà l’immense nouveauté de traiter d’un événement par un angle inattendu, indirect. Par derrière , ai-je déjà écrit à propos de Mauvignier, puisqu’il y a souvent parenté avec l’héritage sartrien. L’événement, c’est la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, le 29 mai 1985, le choc entre la Juventus de Turin — l’Italie des riches, la réussite insolente de Fiat — et des Reds de Liverpool, ville sinistrée et soumise au chômage de masse — deux belles écuries, dit-on dans le milieu, dont l’une, l’italienne, est menée par Michel Platini — pour une fois que les Français ont un joueur qui est Dieu — 30 ans à l’époque et 70 aujourd’hui même, qui dira au retour, dans l’avion, qu’il arrête le football. Non pas parce qu’il a tout gagné, y compris ce match-là, mais parce qu’il l’a gagné — et qu’il a célébré son but — alors que les deux équipes et la moitié du stade du Heysel ignoraient que les bagarres du virage Z, la charge des Anglais, la panique qui a suivi, ont provoqué 39 victimes, au final. On parle d’une dizaine de morts , entend-on dans les travées autour du stade, tout au début, puisque c’est là que l’action du roman se passe et qu’elle trouve sa genèse : la veille, Tonino & Jeff – un français de la Bassée, toujours — sont venus tenter leur chance — 11000 supporters de Liverpool, 60000 de toute l’Europe (dont beaucoup d’Italiens qui auront acheté des places belges), 400000 demandes — tant les sésames sont rares et Gabriel, tout à sa joie du poste qu’il vient de décrocher, ne se méfie pas quand il invite les deux hommes à boire un verre avec eux ; il se méfiera davantage du regard que Tonino porte à Virginie, sa compagne, mais ne verra rien du moment où il dérobe les billets dans le sac de la jeune fille. Furieux, une fois rentrés chez eux, du subterfuge commis, il se jure de les retrouver le lendemain — j’attendrai et guetterai le moindre Teddy avec Chicago inscrit au dos — et part à leur recherche, autour du stade. Là où l’Europe a rendez-vous . C’est de là qu’il vivra ce chahut et ce mouvement qui soulève les gens quand ils sont à plusieurs et que déjà ils ont bu , cette ivresse au-delà de l’alcool qui fait que les Anglais vont mettre la capitale belge sur le pied de guerre . Il ne sait rien de Francesco & Tana, que ses voleurs — un grand aux allures squelettiques (…) et l’autre, l’Italien, plus petit et bouclé — ont rencontrés dans le métro, juste avant d’aller au match : eux viennent de se marier, voyagent à destination d’Amsterdam avec arrêt à Bruxelles pour assister au match, puisqu’on leur a offert le Graal. On ne meurt pas pendant son voyage de noces , se répètera Tana, hébétée, après que son homme l’aura sauvée de la horde — cours, Tana — quand lui périra étouffée par une foule bloquée, en bas des tribunes, par des barrières de béton — désormais interdites — qui ne céderont pas et provoqueront l’étouffement de nombreux spectateurs. C’est une scène qui ressemble à la porte des Enfers, et les supplications de Tana — Francesco, ne me protège pas — résonneront longtemps après, dans toute la narration, en fait. Aucun d’entre eux, ni Tonino, ni Jeff — et les livres qu’il écrirait — ni Francesco, ni Tana, ni Gabriel, ni Virginie ne savent (encore) rien des frères Andrewson, dont Geoff, le benjamin — parti avec Doug et Hugie sans doute parce qu’ils n’ont pas réussi à convaincre leur père de prendre la 3 e place — découvre l’effet de masse, les faces rouges et rondes pour la plupart, à moins, au contraire, qu’elles soient maigres et cassées , les hectolitres de bière consommés et les England ! England ! qui fusent. C’est par Geoff, qui se demande s’il est vraiment en train de faire ça , qu’on remontera l’écheveau de la misère sociale, la mère qui les défendra à distance et jusqu’au bout, avec cet aveu terrible, dans le roman : il parait que c’est une croyance très anglaise et très optimiste, au final, de penser que si l’on ne dit rien des choses terribles, elles ont d’elles-mêmes la faculté de s’estomper et de se dissoudre dans les brumes du Midland . C’est par Geoff qu’on comprendre les mécanismes de la sauvagerie, sa fatalité, aussi, la honte et la disgrâce , dira Margaret Thatcher, tombées sur (leur) pays. Tu veux croire qu’on t’aimera en faisant comme ils font , lâche Elsie, sa petite amie, à Geoff, à son retour : elle est infirmière, lit Rimbaud dans le texte, elle le sauvera sans doute quand ses frères et leurs amis sont déjà damnés avant d’être condamnés. C’est par le biais de ces narrateurs divers, Jeff, Gabriel, Tana, Geoff, par leurs positions (dedans/dehors) que les cercles concentriques se rapprochent, qu’on aborde l’événement par ses frontières narratives. Par des actions secondaires, anodines — la jalousie qui fait que Gabriel, retrouvant Tonino inanimé, va effacer le numéro de téléphone de Virginie qu’il avait laissé inscrit sur sa main — qu’on aborde l’essentiel, cette chose que l’Europe entière a vue en croyant ne pas la voir . Par le dérisoire des objets — rien de plus insurmontable que l’existence de deux brosses à dents et d’un gobelet en plastique — que Tana prend conscience de la perte à venir. Se dire que ça ne tenait qu’à un grillage et à un mur de béton . La troisième et dernière partie porte sur le deuil insurmontable — reprendre le dessus, tu parles d’une expression à la con ! — et des répercussions qu’aura le procès (de 26 visages, de 24 meurtriers ), trois ans et quelques mois après le drame. C’est la ouate , entre temps, a trusté les charts en France, mais la chanson est à prendre au sens premier, tant Tana n’a aucune intention de s’en sortir, puisque s’en sortir, c’est accepter le pire. Il faudra un voyage en Italie et en Sardaigne pour que les cercles se bousculent d’eux-mêmes, encore, et qu’un après se dessine, peut-être. Qu’on aille au-delà de l’étourdissement . Les clubs anglais seront interdits de compétition en Europe pendant cinq ans, les mesures de sécurité prises seront drastiques, les condamnations ont été lourdes — même le secrétaire général de l'UEFA a écopé de trois mois de prison avec sursis et 30 000 francs belges d'amende — mais il faudra du temps pour que le You’ll never walk alone reprenne ses lettres de noblesse autour des stades. Qu’on se souvienne que Liverpool, c’est d’abord Paul, John, Georges et Ringo. Et que chacun comprenne que la sauvagerie, quand elle est motivée par des pulsions identitaires, n’a pas de Nation. Dans la foule Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2006) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir).

Ceux d’à côté , roman paru en 2002, c’est la vie mode d’emploi mâtiné de l’Étranger , le tout à la sauce Mauvignier, dans une narration d’un quotidien à faire pâlir d’ennui — le poisson rouge, le vieux voisin du dessus — le plus chaleureux des lecteurs. Mais c’est un compliment, parce que c’est sa façon de raconter les histoires croisées de Catherine (Cathy), Claire, sa voisine, Sylvain, celui qui va lui ravir, et cet homme, inconnu, qui n’est rien mais qui va se déterminer en laissant Claire pour morte, sous le coup d’une pulsion. À la Meursault. Cathy travaille à la cantine d’une école, s’apprête à passer un concours (de musique), de se définir autrement qu’elle paraît là, quand Mauvignier s’en empare, lui fait raconter — en monologue intérieur, toujours — son quotidien, la voisine avec qui elle a sympathisé, qu’elle allait même pouvoir connaître mieux si Sylvain n’avait pas débarqué dans sa vie, et pas dans la sienne : et puis quand il y a eu Sylvain, ce n’était plus pareil. On n’a plus parlé comme avant de ce que c’était que d’être toutes seule set d’attendre ensemble que le prince charmant trouve la sonnette de l’immeuble . Elle est sans illusions, Cathy, se satisfait des balades jusqu’à la mer que le couple lui propose, de temps à autre. Ils écoutent du Schubert, dans l’illusion de la plénitude. Mais le récit se rompt quand Claire est agressée chez elle, violée sans que le mot, jamais, ne soit prononcé. C’est Cathy qui la retrouve, laissée pour morte — l’impression que Claire va garder — et va peu à peu s’approprier le drame pour ce qu’il a d’inusuel : parce que maintenant, c’est presque mon histoire, d’une certaine manière, si on veut, et pas seulement parce que c’est moi qui l’ai trouvée . Une histoire qui agit comme un révélateur du vide de son existence — d’habitude, je sais tellement bien ne plus avoir de sentiments pour qu’être toute seule, ce ne soit pas être rien — jusqu’à ce qu’elle cherche à croiser, elle aussi, un type comme ça, dans ses rêves, au bar-tabac — où ils vont se côtoyer sans qu’elle le sache — à la piscine, lieu commun aux protagonistes ; elle le cherche et c’est inavouable, sauf pour elle-même : J'ai besoin peut-être de cette peur-là pour me mettre à vivre un peu une autre vie que celle où je tourne en rond . Mais Mauvignier ne serait pas lui-même s’il se contentait d’un récit, s’il ne le doublait pas de l’histoire racontée, de façon croisée, par le criminel. En pleine métaphysique de l’acte qu’il a commis, condamné ( parce que leur punition, c’est ce qu’ils ont fait ) à faire avec . Mais vindicatif : ça prouve quoi, ce que j’ai fait ? (…) comme si on était que ce qu’on a fait . Cet homme qui est passé à l’acte parce qu’il voulait juste ne plus avoir peur , parce qu’en lui, il n’y avait que de la sauvagerie prête à mordre , on suit aussi son monologue, phénoménologique, la façon dont il est passé d’une vie presque normale (avec une compagne, un travail, des amis ) à la fatalité d’être désormais celui qui a fait ça . Cathy ne dit pas autre chose, finalement : ceux qui nous comprennent, ce n’est pas nous qu’ils comprennent . Ça n’est ni l’étage ni ce qu’on donne à (entra)percevoir aux voisins qui dit de nous ce que nous sommes. Dans ce nouveau roman (c’était son 3 e , il n’en dérogera pas) sur l’attente — attendre quoi, puisque m’approcher des autres, c’est m’éloigner de moi — l’inverse de l’action, le vide, ce presque rien(répété en fin de chapitres, souvent) qu’elle comble. On a un questionnement, que seul le silence que Mauvignier met en place, peut poser : allez dire ça à ceux pour qui la vie est faite. Leur raconter que les victimes et les bourreaux, c’est au même dégoût qu’ils se découvrent, aux mêmes fatigues qu’on les reconnaît . Ceux d’à côté est un roman dense, qui peut troubler dans sa façon de montrer qu’on est tous une partie, plus ou moins, de chacun de ces gens pris dans la même ville anonyme — c’est tellement vaste, quand il n’arrive rien — et soumis aux mêmes palpitations . Qu’on taira, neuf-cent quatre dix-neuf fois sur mille. Parfois, pourtant, la millième dépend d’un sourire — qui donnerait à ma tête ce qu’elle n’a plus d’être habitable . Ceux d’à côté Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2002) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir).

La porte se referma sur le dernier homme . Ainsi commence ce roman où l’on va découvrir par petites touches énigmatiques le destin si singulier de Manushe. Elle est l’une de ces vierges jurées qui ont fait le serment de renoncer à leur condition de femme. En contrepartie elles ont acquis les droits que la tradition réserve depuis toujours aux hommes : travailler, posséder, décider. Et dans son village Manushe jouissait de l’affection générale et d’un respect authentique. On admirait le sacrifice qu’elle avait fait en refusant d’être mariée de force au vieux Parush. Mais l’arrivée d'Adrian, un homme à l’aura singulière va faire chanceler les étais jusqu’alors solides de la routine séculaire où elle vivait . Une scène d’horreur va éclairer brutalement l’origine de ces destins contre nature, comme un avant-goût du thriller auquel on ne s’attendait pas. Comme pour introduire le désir naissant chez Manushe, jusqu’alors contenu, jusqu’aux rêves où elle dévoile son corps aux yeux déroutants d'Adrian . Avec l’éveil des sentiments la prose se fait poétique puisque t out était plus beau ou plus laid… Les ciels de peintre qu’elle observait se défaire entre les cimes et retomber au faîte des sapins en traînés dorées ou bleues . Mais le réel va s’inviter au travers du miroir acheté qui lui renvoie son image, trop effarouchée au point de cacher son sexe de la main, pour encore ressembler à un homme, avec ses seins presque fondus, sa poitrine enfoncée à force d’être niée , comme une bonne sœur. Jusqu’au jour où Adrian la déshabille sans la toucher avant de lui dire qu’ il l’attend dans la voiture pour aller faire les courses. Une fissure venait de s’ouvrir qui la laissait comme plomb, assommée . Le suspense ne fait que commencer. Plus tard Adrian parlera. Quand on croira que l’histoire va s’éclaircir, on mesurera le courage qu’il faut aux rivières avec ses destins croisés, ses deux faces d’une même pièce. Si on apprend vite pourquoi Manushe a signé la fin de sa vie de femme , pour échapper à son sort dans les règles du droit coutumier, il faudra lire toute cette histoire et ses rebondissements pour connaître la vérité tragique d’Adrian quand son père avait pris sa décision : l’enfant qui venait de naître serait élevé comme un garçon . À partir de là, par une complaisance de l’organe à la nécessité sociale sa voix même sembla muer , jusqu’au drame où avait sombré son enfance factice … Avec ce premier roman Emmanuelle Favier explore ces identités troubles nées moins du hasard que de la nécessité, où son style singulier saisit la force du mythe . Le courage qu'il faut aux rivières Emmanuelle Favier Éditions Albin Michel (2017) Rééditée par Le livre de poche

Seuls est un roman extrêmement condensé qui date de 2004, dans l’ordre, c’est le 4 e de Laurent Mauvignier. Lequel condense, là encore, toutes ses énigmes dans un titre qui suggère que les solitudes sont multiples et que chacun y a droit, à sa façon. L’histoire, c’est celle de Pauline qui revient de l’étranger — où elle a vécu avec Guillaume, qui y est resté — et reprend naturellement sa place dans l’appartement que Tony et elle partageaient quand ils étaient étudiants. Sans savoir que son être, son départ et son retour ont totalement déterminé Tony, dans ce qu’il a fait — l’abandon de sa maitrise de Lettres, le refuge dans un travail sisyphien de nettoyeur de trains — et dans ce qu’il s’est toujours refusé à dire, même à lui-même. Trouvant normal que Pauline n’ait pas songé à être amoureuse de lui , prétextant sa folie à lui de rester patient autour d’elle ; ils partagent tout, les confidences, les galères, mais elle ne se rend pas compte qu’il est là pour elle exclusivement, qu’il a beau tenter de se convaincre qu’attendre Pauline était plus beau qu’être avec elle — en mode proustien — il ne voit son rêve coïncider avec la réalité que dans l’illusion d’un retour qui n’en est pas un, qui sera soumis à temporalité, forcément. Que le goût amer qu’il y a à partager les échecs , il le vit au centuple, quand elle s’en remettra, toujours. Il se bat pour ne pas succomber à cette haine de croire que Pauline lui devait des comptes , s’est arrangé physiquement, s’est apprêté pour l’accueillir comme il se doit, qu’elle se sente chez elle… Il ne demande rien davantage que partager cette grande banalité de la vie , celle que son père a vécue avec sa mère avant qu’elle meure et qu’elle les laisse seuls, à deviner comment un homme doit faire pour vivre comme ça . Il lutte, Tony, toujours enclin au reniement de lui et à l’effacement , à consigner pour lui ce qu’il pense dans ses carnets secrets. Il s’était bien déclaré, à 12-13 ans , mais elle avait mis ça sur le compte d’une passade, était revenue à ses vrais soucis de jeune fille, qui grandira dans la certitude, dit Pauline au père de Tony, qu’il n’a jamais aimé que l’impossibilité d’être aimé . Le père, c’est celui qui va recueillir les confidences de son fils, poussé à croire qu’avec elle, c’était tout ce qui semblait possible du temps où ils étaient étudiants qui était revenu . Qui verra son fils s’enfoncer dans un autre deuil impossible, se renfermer sur lui-même — vous savez, c’est étrange, ces derniers temps, Tony est redevenu Tony , lui dit-elle. — J’aurais voulu la gifler , se souvient-il. Puis disparaître, sans prévenir personne, après avoir délibérément choisi de ne pas venir au déménagement de P. qu’il avait lui-même organisé. Après être passé voir son père pour lui dire qu’il ne savait plus faire, mentir, s’arranger ; vouloir — enfin — lui dire parle-moi de l’Algérie et en être incapable : toujours Pauline qui revenait . Deux jours après, c’est l’ancien qui va la voir pour tout lui dire, enfin (également) de qui est son fils et de ce qu’elle en a fait, autant que lui. Avant qu’elle renverse l’accusation, et que la fin laisse exsangues les protagonistes et le lecteur dans ce qu’elle révèle de tout ce que personne n’a voulu voir. Et les montre Seuls face à leur perception de l’histoire, le poids de ce que chacun cache et que peut-être il ignore. Le désastre déjà joué , que racontera un ultime narrateur de ces vies entremêlées. Il y a 21 ans, Mauvignier s’ancrait dans l’écriture du silence et des mots cachés. Dans tout ce qu’il y a derrière ce qu’ils disent. Les mots faits exprès , fait-il dire à son narrateur. Dans la description pointilliste des situations qui les arrachent — on fume beaucoup et on boit autant, pour leur échapper, dans Mauvignier — dans la litière du chat, la tasse de café ou la cendre qui s’accumule. Dans Seuls , c’est par accumulation qu’il construit un récit par strates, jusqu’à la chute — la fin de l’attente — qui révèle tout ce que le sacrifice peut contenir de déni et de refoulé. Ce que les apparences doivent à la colère. Seuls Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2004) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir).

Je n’ai pas beaucoup mémoire d’avoir été parcouru d’un tel frisson à la toute fin d’un roman. Peut-être s’explique-t-il par la part de culpabilité de ne l’avoir pas lu avant, d’avoir connu une époque où je ne lisais plus les livres d’un auteur que j’ai pourtant toujours trouvé essentiel ? Qu’importe, la fin, renversée, de Continuer , 10 e roman de Laurent Mauvignier, paru en 2016, m’a tellement bouleversé après que le roman m’a tenu en haleine que j’ai eu de la peine à quitter ces personnages. Samuel et Sibylle, le fils et la mère, qu’on trouve, directement, confrontés à des possibles voleurs de chevaux, une culture au Kirghizistan , ce pays montagneux d’Asie Centrale dans lequel mère et fils se sont exilés pour trois mois, en solitaire et à cheval, donc, puisque c’est tout ce qu’ils ont partagé en 16 ans, marqués par une séparation, un déménagement (à Bordeaux) et un décrochage, à tous les niveaux . Sibylle veut sauver son fils de la perte, rattraper sa vie à elle qui part à vau-l’eau (on saura plus tard pourquoi) : est-ce qu’elle va finir de tomber, comme elle voit que son fils est en train de tomber ? l’acte fondateur ( décider ) est là, elle vend la maison paternelle à laquelle elle semblait tant tenir, prend une disponibilité de son travail d’infirmière — quand tout la destinait à devenir chirurgien — va contre les moqueries de son ex, Benoit, le père de Samuel, qui n’a de cesse de la ramener — ma pauvre chérie — à tous ses échecs précédents, au sens des réalités qu’elle n’a jamais eu, selon lui. Quand elle le fait venir, chez elle, alors qu’elle s’était juré qu’il n'y mettrait jamais les pieds, il tourne tout en dérision, se moque du robinet qui fuit ( ploc ) comme s’il était l’incarnation de sa propre nécessité conjugale, se dit qu’un bon pensionnat réglerait tout, comme ça l’a fait pour lui. Mais si Sibylle s’accroche à son idée folle, c’est qu’elle sait que c’est le seul moyen de sortir de sa dépression, de retrouver l’essentiel en renonçant aux fausses valeurs occidentales. Au pays des Chevaux Célestes , elle attend que Starman & Sidious, les montures qu’elle a achetées et que Samuel a nommées — pour Bowie & Star Wars — montrent à son fils qu’elles sont plus que des chevaux, enfin, qu’elles sont devenues des chevaux , qu’il faut comprendre, gérer, bichonner. Elle veut qu’il comprenne la valeur d’une simple bouteille d’eau, de quelques feuilles de papier-toilette, il faut que tu prennes , dit-elle, le moins de place possible dans le monde qui va t’accueillir . L’adolescent taciturne, skinhead en perdition, va regimber, s’enfermer dans ses écouteurs, mais suivre le rythme, dense, vivre les soirées chez les nomades qui accueillent, toujours, parce que c’est la coutume : il y a toujours un homme pour expliquer qu’on doit aider celui qui passe devant la porte de notre maison : si les portes des yourtes ne se ferment pas, c’est uniquement pour respecter cette règle . Sa mère leur parle russe — la langue de ses grands-parents — il en a les bases mais ne dit rien, s’agace de ce que Sibylle pût être populaire, voire plaire à un des randonneurs (français) qu’ils croisent, deux fois. Au fur et à mesure qu’ils avancent dans le périple, qu’ils tombent dans le piège facilement, sans se rendre compte qu’il se renferme sur eux et qu’ils ne pourront pas faire machine arrière , Mauvignier, par analepses, éclaire le passé de Sibylle, quand elle espérait encore en la vie, qu’elle aimait éperdument Gaël, ce motard rencontré sur fond de station essence ExxonMobil, avec le cheval ailé comme symbole qui peuple encore ses cauchemars, récurrents, qu’elle se destinait à la chirurgie et qu’elle avait même écrit un roman, accepté par les éditeurs, comme Beckett — d’où le prénom de son fils — ou Modiano, sans en croire ses oreilles. Il raconte l’histoire d’une vie ancienne, d’une vie morte , dont ne subsistent que la honte, le dégoût, le mépris de soi . Il use de l’anaphore — pourtant, X3 — pour dire à quel point elle était bien partie, dans la vie, et que tout s’est écroulé. À coup d’attentat à la station RER B à Saint-Michel — le 25 juillet 1995, revendiqué par le Groupe islamique armé algérien — une faille dans ses valeurs humanistes qu’elle a tu mais qui ressurgira un soir où Samuel, qui a trop bu, lâchera — sans rien savoir de ce qui s’est passé dans la vie de sa mum’ — une diatribe anti-musulmans ( les Arabes ) stupide et confuse : il a peur des images qu’il voit des banlieues, lui qui n’y est jamais allé . C’est le point de rupture dans le voyage, la séparation brutale, un dénouement violent. Les vies secrètes de deux voyageurs ont pourtant un point commun, qui agira comme un révélateur dans une chute dramatiquement belle : le Heroes de David Bowie, une chanson qui parle de se maintenir debout même si c’est pour un jour, d’être ensemble, des héros pour un jour . Mauvignier excelle dans la façon de reconstituer, par petites touches, les éléments qui ont fait une vie avant la vie qu’il narre, et se sert d’un roman d’aventures* - paysages et cultures à l’appui - pour écrire sur l’élément fondateur de toute création, l’amour infini d’une mère pour son fils. À ce titre, le renversement final, que Benoît, le père, qui se croyait imbattable, sur tous les terrains, perçoit via une partie de oulak-tartych, ce jeu où les jeunes s’affrontent(à cheval) autour d’un mouton décapité , est éloquent. Sans un mot, comme toujours, chez Mauvignier. *idée venue de la lecture d’un article du Monde en 2014 Continuer Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2016) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir).

Hubert Haddad est habité par l’exigence de multiples formes d’expressions : il est romancier, poète, dramaturge, peintre, critique d’art… Il vient de remporter le Prix Montluc Résistance et Liberté pour La Symphonie atlantique , dernier roman d’une immense œuvre dont la richesse créatrice témoigne de son engagement humain et littéraire. L’histoire des civilisations et des tyrannies qui embrasent les pays et les peuples est un thème récurrent chez lui, qu’il aborde ici en donnant vie au personnage d’un enfant confronté à la folie et la violence de la guerre. Nous sommes à la fin des années trente en Allemagne, plus précisément à Ratisbonne, ville de Bavière, au moment où le pays bascule dans le nazisme. Le jeune Clemens, un garçonnet d’une blondeur de blé mûr, la figure semée de taches de soleil et les yeux pénétrés d’un bleu mourant d’aurore , vit avec sa mère Maria-Anke, femme fragile chavirant sans cesse entre exaltation et langueur . Sombrant dans la folie en même temps que l’Allemagne sombre dans la terreur, elle finira internée et disparaitra de la vie du jeune fils, non sans avoir tenu auparavant à lui confier un violon très précieux. Ce violon, son âme, il ne devra jamais s’en séparer. La musique — un souffle vital essentiel pour l’auteur — Clemens l’a découverte et exercée auprès de Handa, une jeune voisine pianiste, sollicitée par la mère pour le garder et lui donner des leçons de piano. Poussée au désespoir, c’est aussi entre les mains de Handa que la mère remettra le destin de son fils en la chargeant de l’accompagner, lui et son violon, chez l’oncle Reinhold en Forêt Noire. C’est là que l’enfant, alors qu’il se trouve confronté à la perte et à l’absence par la disparition de sa mère puis celle de Handa, va ressentir dans tout son corps et toute son âme, la fascination des livres qu’il découvre dans l’immense bibliothèque de l’oncle, pris de vertige à contempler les ors des dos de reliure des milliers d’ouvrages tapissant les murs … Qu’il comprenne ou non, Clemens lit tous les livres à sa portée — Hölderlin, Heine, Jean Paul, Brentano, Rilke — En même temps, il est fasciné par la nature où il s’y perd avec ivresse — cette forêt si chère aux Romantiques allemands — Cependant, c’est surtout dans la musique que Clemens va trouver refuge. On le suit dans son apprentissage musical et très vite, il se révèle un talentueux violoniste. Son violon, héritage transmis de son grand-père, ne le quittera plus. C’est avec lui qu’il affrontera les tumultes et les atrocités de l’époque nazie. À travers les années, Clemens est balloté d’instituts en foyers, échappant un temps à l’embrigadement des Jeunesses hitlériennes grâce à son talent musical. Mais son apparence — blond et gracile — en fait aussi un archétype de l’enfant aryen, à la fois protégé et instrumentalisé par le régime. Mais la guerre le rattrape. À la terreur nazie s’ajoute bientôt les bombardements alliés qui détruisent villes, paysages et humains. Il est enrôlé à 15 ans et envoyé sur le Mur de l’Atlantique. Là, entre les bombardements et les ruines, sa musique résonne une dernière fois, fragile et sublime, avant que le silence ne l’emporte, et le silence, c’est aussi de la musique. À la fin du roman, on comprend mieux ce très beau titre — La symphonie atlantique — un roman profondément musical ; la musique y résonne tout au long de façon magique ; elle est présente dans la structure même du récit, construit comme une symphonie en quatre mouvements. Chacune des parties est introduite en exergue par un texte poétique allemand. Roman musical et poétique donc, dans le rythme de la langue, dans la brillance d’écriture qui fait s’envoler les mots tels les mouvements d’archet sur les cordes du violon, dans la beauté des descriptions des paysages, des émotions. C’est un livre qui se lit et qui s’écoute : Ecoutons les accords qui perpétuent le miracle suspendu de la musique longtemps après qu’une simple balle de colt 45 a frappé au cœur l’enfant sans secours Ecoutons le gracile frémissement des feuilles d’érable dans la lumière du printemps Le roman aborde les thèmes graves de la guerre et sa barbarie d’une façon originale et intéressante, à savoir à travers le regard d’un enfant, victime du régime nazi. Qui connaît l’œuvre d’Hubert Haddad retrouvera ce point de vue dans un roman précédent Un monstre et un chaos qui met en scène un enfant dans le ghetto de Lodz. Ici encore, l’auteur donne voix aux plus vulnérables, aux enfants broyés par l’Histoire, et il interroge la place de l’art dans un monde en guerre. Hubert Haddad défend la conviction que l’art est un ultime rempart contre la barbarie et le néant, contre la mort. La musique, l’art en général, devient un acte de résistance, une manière d’exprimer son identité et son humanité. Par ailleurs, Hubert Haddad aborde la complexité de l’identité allemande de manière originale et intéressante en faisant revivre une culture germanique décriée, trahie par le nazisme. On peut s’interroger sur ce que Hubert Haddad peut nous dire pour aujourd’hui ? La Symphonie atlantique Hubert Haddad Éditions Zulma (2024) Hubert Haddad sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le samedi 27 septembre 2025 (informations à venir)

Quand un auteur a la chance d’être attendu, il est nécessaire qu’il aille là où personne ne l’imagine, justement. Le théâtre, Mauvignier s’y adonne en tant qu’écrivain, renverse les codes classiques en les utilisant, dans Retour à Berratham (impossible, désormais, de lire ce titre correctement) en faisant raconter l’histoire par un chœur, omniscient, qui narre le retour d’un jeune homme, appelé JH, dans sa ville dévastée par la guerre pour y retrouver l’amour de sa vie, Katja. Retour à Berratham , c’est une collaboration avec le chorégraphe Angelin Preljocaj, qui avait déjà mis en geste Ce que j’appelle oubli en 2012. Deux ans après, c’est la commande, pour la danse, d’une tragédie épique contemporaine , d’où les chœurs, la volonté d’explorer les mouvements humains tout autant que les mots . Les mots de Mauvignier, ici, sont introduits par l’usage inversé, encore, des tirets, qui situent l’avancée de l’histoire telle que le chœur la raconte, quand les protagonistes sont nommés, eux par leur pseudo de petites frappes profiteurs de guerre, et de paix, donc. Puisqu’il a quitté cette ville qui, avant la guerre, le destinait aux kilos d’ordures qu’il ramassait avec son frère , c’est paré de son amour qu’il y revient, dans ce qui pourrait être Sarajevo, Alep ou d’autres villes martyres, Gaza, évidemment. — Tu étais où, pendant tout ce temps ? lui reproche le chœur des morts ; — Taisez-vous ! C’est parce qu’il entend la voix de Katja , rétorque la mère de la jeune fille. Qui a été tuée, mais sait (omniscient, on vous dit) que Katja est vivante : elle l’est d’une vie si morte que même (s)a mort à côté n’est qu’un passe-temps ennuyeux et calme . Ce sont les femmes qu’on tue, dans cette (terrible) histoire, une par une pendant les exécutions massives pour bien marquer les esprits. Pour que la guerre , rappelle-t-elle, fasse revivre la mort d’une femme qu’on a aimée si longtemps , pour que les hommes aient soudainement peur des enfants du quartier qu’ils ont vu grandir . C’est un court texte, dense, haletant, au drame qui monte parce que l’issue ne peut pas être heureuse : la paix ne recouvre rien , lâche le chœur des morts ; pour revenir, il lui faut beaucoup plus longtemps qu’une vie d’homme . On sort de cette tragédie marqué par le souvenir conscient d’en avoir vécu de telles, il n’y a pas si longtemps, et d’en vivre encore, aujourd’hui, malheureusement. Et toute sa vie maintenant il faudra lutter pour revoir cette image là (l’amour) plutôt que l’autre (la mort). Quand les deux sont mêlés, ça donne le romantisme — les amants du Pont de Sarajevo. Quand la vie ne laisse pas le choix entre l’un et l’autre, c’est une damnation. Retour à Berratham Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2015) En 2012, Mauvignier s’était essayé au théâtre, déjà, avec un huis-clos (dans une maison d’enfance désertée depuis longtemps, retrouvée à l’occasion des funérailles du patriarche) forcément sartrien, ce qui est le cas, puisque Tout mon amour met en scène des morts et des vivants, sans qu’on sache vraiment qui est qui, sauf qu’un des protagonistes (le grand-père, ici dénommé GP, comme P, M & F suivent, dans la lignée, sauf Élisa, qui a droit à son prénom) apparaît aux yeux de son fils sans que les autres le voient. Pour en finir avec l’analogie, il y aura dans la séquence 11 une scène de violence ( Mais crève à la fin, Papa, crève ! ) à laquelle le GP pourrait rétorquer qu’il est déjà mort , comme Inès le fit en son temps. Mais c’est un mort qui s’ennuie, qui jouerait bien à la belote mais n’a plus comme distraction que de venir hanter son fils, au sens réel : lui reprocher d’avoir été froussard enfant, cocu une fois marié, juste un peu moins mauviette, au final, que son pédé de frère. Lequel s’est exilé en Chine et n’est pas revenu, lui : on enterre sa propre vie bien avant que ses parents meurent, parfois. En l’occurrence, celui qui est resté, c’est le père, pas la mère. Il faut dire , lâche-t-il, des morts, en une vie, on en entasse tellement . Il y en a une, restée silencieuse, mystérieuse, qui s’impose dans la pièce via le personnage de Élisa — Elle ?! Elle ?! Elle ? Élisa ? Élisa ? — qui se rappelle à eux en faisant voler en éclats le misérable petit tas de secrets que constituent les existences mêlées de chacun d’entre eux. La scène où elle sollicite la mémoire du F est très poétique, parce que les enfants sont épargnés, quand ils le peuvent. Quand l’un ne prend pas la place de l’autre pour pallier son absence, quand il ne sollicite pas de sa mère tout son amour , elle qui viscéralement ressent chaque étape de la vie de celui qui est resté comme le négatif de celle qui ne l’est pas. Je sais, un enfant, ça n’a pas la même mémoire qu’un adulte, lit-on dans la pièce, et la révélation de qui était Élisa, ce qu’elle a subi, agit en catharsis de ce que la famille, toute la famille, a tu. A dénié, psychanalytiquement. Comme chez Sartre, les personnages vivent leur châtiment au fur et à mesure qu’ils en ressortent les mots ; la sentence ayant déjà été prononcée chez ceux qui sont morts mais restent en quête de justice, elle frappera davantage ceux qui restent et doivent s’accommoder d’une réalité toute autre que celle avec laquelle ils ont passé tout une vie. Dieu ne me veut pas de mal, dit Élisa. Il sait que je n’ai pas voulu, Il sait tout ça, que ce n’est pas ma faute . Elle est peut-être la seule à y croire, néanmoins : pour les autres, les adultes, la véritable punition sera peut-être, comme le GP, de ne jamais mourir vraiment. Tout mon amour Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2012) Dans Une légère blessure , créée au Théâtre du Rond-Point, en 2016, Mauvignier use d’un monologue qui n’en est pas un, techniquement, puisque le personnage, le seul qui parlera, la Femme ( pas moins de 40 ans , établit-il en amont) s’adresse à une jeune fille — qu’on ne verra pas — dont on comprend qu’elle est l’employée de maison, d’origine orientale ( nabab, ça vient peut-être de chez vous, non ? ), qui ne parle pas français ( rassure-toi, personne ne parle plus français ), qu’elle a fui, en bateau, un pays où les femmes sont lapidées dès qu’elles s’adonnent au plaisir de la chair. La maîtresse de maison, qui fait préparer un repas pour 8 personnes, soliloque, dans un rythme saccadé, fait de phrases interrompues, de suspens. Elle finit par tutoyer sa petite bonne, parle, seule, des hommes qu’elle a rencontrés — dont Roberto, le bel Italien qui lisait Rimbaud et qui aurait pu faire d’elle une Italienne aux enfants italiens — du sexe, de l’amour , de l’impression qu’à chaque fois ça va être différent et, dit-elle, du mécanisme qui se produit à chaque fois , des étapes par lesquelles chaque histoire va passer : le moment de pur bonheur qui semble voué à durer toujours ; le quelque chose qui pâlit, dans le regard . Puis, comme dans les relations amicales — cette douleur qu’ils agitent si fort en vous, parfois, les gens — ou familiales, juste la lente et longue dissolution du lien : c’est le souvenir d’une scène avec son père qui remonte, des années et des années après. J’avais quoi, huit, neuf, dix ans ? se questionne-t-elle. J’étais à peine plus jeune que toi , confie-t-elle à sa servante, dont elle se sert comme effet-miroir, dans un mélange de condescendance — tu ne sais rien, tu laves, tu rinces, tu plonges les doigts dans l’eau sale — et de sororité forcée. Ce texte très court (35 pages) est une fois de plus un texte sur l’attente, qui se fait l’écho des failles de chacun. Des incompétences , dit la Femme, qui a un jour établi la liste des siennes . Le rapport (social) de force vole en éclats quand la Femme laisse, dans le discours, ses plaies supplanter les réussites qu’elle a engrangées, quand celle qui est prise à partie peut encore postuler à une vie meilleure dans tous les sens du terme. Une légère blessure Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2016) Pour sa 4 e — et dernière à ce jour — production théâtrale, Proches , en 2023, Laurent Mauvignier définit une structure (et une nomenclature) classiques, avec nom du personnage dans les dialogues, explications en amont sur les ellipses, le dialogue intérieur ou l’ironie, pour mettre en scène l’attente d’une famille — et quelques valeurs ajoutées — réunie pour célébrer le retour du fils prodigue, Yoann, dont le fait-d’armes sera d’être une présence muette (et spectrale) dans une pièce fondée, avant tout, sur le langage. Parce qu’à force d’attendre l’arrivée de Yoann, après quatre ans de prison pour un cambriolage qui a mal tourné , les protagonistes — Didier & Cathy, le père et la mère, Malou & Vanessa, ses sœurs, Quentin & Romain, les compagnons des filles, Clément, celui de Yoann) — se tournent autour dans une métalinguistique qui rappelle le meilleur de Nathalie Sarraute dans Pour un oui ou pour un non — donc, rien, c’est pas tout à fait rien, quoi — quand ils s’affrontent, nerveux, à coups de stichomythies ( — C’est pas ce que je voulais dire —C’est ce que j’ai entendu — C’est pas ce que j’ai dit . Qu’ils recréent la tension d’une famille dont les parents se sont exilés dans le Nord, à 600 kilomètres de la maison où ils ont passé vingt-deux ans, pour éviter d’avoir à affronter les voisins et amis ( Des connards , pour Vanessa — Y’en a pas eu un seul pour vous soutenir ) pour qui les 500 balles volés dans la caisse du patron de la menuiserie, plus le casse raté, marquaient la famille du sceau de l’infamie. Les scènes s’enchaînent avec des binômes, souvent, qui se confrontent à leurs ratés, aux non-dits, les parents qui culpabilisent de n’être pas, peut-être, suffisamment allés au parloir ( — j’allais dire mouroir ), les deux sœurs qui se reprochent mutuellement les vies qu’elles mènent et le lien qu’elles ont avec leur frère. On s’en veut, toujours dans la métalinguistique, de faire les questions et les réponses , il y a, en filigrane, l’annonce que le père doit faire et reporte sans cesse ( — Qu’est-ce que tu vas leur dire ? ), l’histoire tragique de Yoann et de son amant, le spectateur, dans la lignée de la double énonciation théâtrale, quand le spectateur voit Yoann alors que les protagonistes l’attendent (à la Godot) ou lui parlent secrètement, comme Malou, dans la scène où, ou sa mère, quand il lui demande si elle a honte de lui, ou d’elle . Il n’y a que Romain — le cinglé de la famille — pour assurer qu’il est pas ici. Il est pas là. Il est nulle part , quand la tension l’emporte, puisqu’ils finiront finalement par l’attendre cent-sept ans , comme le redoutait Didier. Et que ce laps de temps suffira pour que les derniers secrets soient levés. Proches ( On est si proches — tellement rapprochés qu’on peut plus respirer — j’étouffe — on étouffe à force d’être si proches ) est encore une pièce sur la damnation, un leitmotiv chez Mauvignier : Tout le monde est — oui, tôt ou tard, tout le monde est / ( condamné ) lâche Cathy, la mère, à la fin, sans préciser à quel niveau, puisque personne accuse personne , ou l’inverse. C’est une mise en scène de l’enjeu des mots, ceux qu’on ne dit pas (la marque de fabrique de l’auteur) et ceux qu’on lâche parce qu’on ne peut plus les retenir, comme le cri d’un muet . L’attente est le sujet définitif de l’histoire, c’est en elle que la pièce trouve sa matière et l’absurde de son intitulé. Proches Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2023) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir).

Autour du monde , paru en 2014, a reçu le Prix Amerigo-Vespucci, décerné au festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges , qui récompense des ouvrages portant sur le thème de l'aventure et du voyage. Ça tombe bien, parce que le 10 e roman de Laurent Mauvignier porte parfaitement son titre, et s’appuie sur un événement majeur de l’histoire de la géographie (et ses corollaires), le tsunami du 11 mars 2011 au Japon, un séisme de magnitude 9,1 survenu dans les profondeurs de l'océan Pacifique, qui déclencha une vague meurtrière qui fit 20 000 morts et laissa derrière elle un demi-million de personnes sans-abris. C’est d’abord via Guillermo, un Mexicain en visite au Japon—un départ subit, comme il les aime—qu’on va assister, sur place, à la genèse de la catastrophe : il est avec Yûko, rencontrée depuis peu, ils forment depuis 72h un couple bukowskien à base d’alcool, de drogues, de sexe sauvage et de bagarres, ils partent sur un coup de tête pour le sud du pays—elle l’invite sans vraiment lui demander de venir, simplement en ne lui interdisant pas de le faire —il est tout à ses pensées sur le corps tatoué de la jeune fille— à l’énergie d’une bête marine et secrète —quand ça arrive lentement, un frissonnement . Deux minutes de tremblement avant la vague. Sur la première phase, Yûko sait ce qu’il faut faire : on l’a appris à l’école . Guillermo, lui, doit sa vie—ironie—au séisme de Mexico, en 1985, mais dans sa stupéfaction, il ira là où il ne fallait surtout pas aller ; Yûko n’a pas la force de le prévenir, elle sait au fond d’elle-même que des milliers de gens vont mourir ici . On ne trouvera trace d’elle que dans les autres récits dans le récit, enchâssés ; Mauvignier, c’est sa marque de fabrique, passe d’une histoire à une autre au sein d’une même phrase ; c’est Frantz, qu’on retrouve en croisière, à bord de l’OdysseeA, en pleine Mer du Nord. Il est seul à bord, ne s’accommode pas de la compagnie des autres, surtout ceux qui, comme lui, ont gagné le voyage— les Heureux Gagnants —au supermarché, comme dans Loin d’eux , tiens. Tout juste ouvre-t-il un œil sur le mystérieux Dimitri Khrenov, parce qu’il trouve sa fille Véra à son goût. C’est par l’information reçue de la catastrophe au Japon que le lien se fait, puisque Dimitri est un sismologue rompu à la tectonique des plaques qui tient conférence (improvisée) dans un salon, s’émerveillant d’ un monstre à 800 km/h devant des croisiéristes qui ne goûtent guère le catastrophisme. Pas moi qui suis responsable s’ils construisent des villes entières là où leurs ancêtres savaient qu’il ne fallait pas le faire , maugrée-t-il. Avant que Frantz, dans le récit, lui sauve la vie puisque, frappé d’Alzheimer, il s’est aventuré quasi-nu sur les pontons, en pleine nuit… On bascule une fois de plus, devant des images des Bahamas et de République Dominicaine, avec l’histoire de Taha et Yasemin, venus d’Istanbul ; Taha est un professeur de sport qui a peur de l’eau— la peur dans tout le corps —mais il la surmontera en compagnie des dauphins. Mauvignier compose un puzzle fait de grandes et de petites pièces, puisqu’on passe sans prévenir à l’aéroport de Tel-Aviv, avec Salma qui arrive le 10 mars—veille de la catastrophe—et se fait arracher son sac par un voleur profitant de la panique liée à un attentat raté, dans l’aéroport. On est dans l’actualité du Printemps arabe , elle vient se confronter, à 46 ans, à l’origine de ses grands-parents, à une histoire familiale faite de secrets et de non-dits. Elle prend un taxi pour Jérusalem, la ville trois fois sacrée, ses six millions d’arbres qui la cernent à la mémoire des six millions de déportés , rencontre Luli, avec qui elle va s’entendre, confronter leur vision du passé qui détermine le présent, elles iront à Yad Vashem, le mémorial des victimes de la Shoah, entre deux monologues intérieurs—son grand-père était-il nazi, est-ce pour ça qu’il s’est retrouvé au Chili, là où sa mère et elle sont nées ?—ou débats enflammés ( comment voulez-vous que sept millions de Juifs entourés par une centaine de millions d’Arabes ne soient pas perpétuellement inquiets ? ) sur ce qui fait les origines et l’identité. Puis on passe à Moscou, dans le froid, avec Syafiq, de Kuala Lumpur, qui regarde à la télé les images du Japon, s’intéresse à cette miraculée sauvée par sa doudoune qui lui a servi de bouée (Yûko). Il veut faire du tourisme, sans conviction, termine chez Mc Donald’s pour bien souligner l’absurde que la mondialisation a créé, retrouve Stas qui prétexte l’accouchement de sa femme pour l’éviter pour, finalement, se noyer dans un épisode de sexe sauvage, qui clôture une histoire d’amour née à Rio—le bracelet brésilien en est témoin—qui ne dépassera pas la nuit. L’énonciation s’accélère, chez Mauvignier, qui écrit au futur simple et use du On pour mieux souligner l’antiphrase puisqu’aucun avenir n’est possible entre eux et que leur union n’est qu’une chimère. On n’en saura pas plus puisque c’est Monsieur Arroyo qui a pris le relais du récit : il est Philippin, préposé aux serviettes dans un hôtel de luxe à Dubaï. Il ne se plaint pas, dans ce décorum où l’eau, le sable, les palmiers ont été construits, il a embarqué , jeune, pour changer de vie, très loin de la misère , il est maintenant à l’ombre de la richesse, c’est déjà , considère-t-il, être presque riche soi-même . Que la Française fortunée, qu’il attirait quand elle était seule, fasse semblant de ne plus le connaître une fois son mari arrivé, n’a aucune espèce d’importance pour lui : de toute façon, Monsieur Arroyo ne pose pas de questions . Coïncidence, on enchaîne avec Dorothée et Denis, des jeunes mariés en partance pour le pays qu’il a fui—mais dans lequel il retournera mourir—les Philippines ; juste le temps, dans l’avion, de percevoir l’envers du décor de l’idylle, les tromperies qu’on n’a pas pardonnées et on débarque dans le cratère du Ngorongoro, en Tanzanie, avec Stephen et Stuart et leurs épouses Jennifer et Maureen, interchangeables dans leur fonction de working girls uper-class australienne. L’Afrique, elles connaissent , mais ça n’empêche pas Stuart de descendre du 4X4, à la grande surprise de tous, pour s’avancer vers les lions, seul avec son appareil photo. Un geste— le luxe de l’adrénaline, l’apparence du danger —qui fera ressortir les vieilles histoires, les coucheries, la rivalité et des secrets plus lourds encore. Il fallait mettre en scène sa supériorité sur le reste de ses concurrents : la photo—les siennes sont toutes ratées—prise par sa femme trônera au-dessus de son bureau, à Sydney. Peter, lui, est noir, mais ne connaît rien à l’Afrique, c’est à Rome qu’on le retrouve, une ville qu’il connaît par cœur, lui, le Londonien, mais c’est la première fois qu’il s’y retrouve au bras d’une jolie jeune fille, Fancy, qu’il a ravie à Owen… son propre fils. Peter veut garder Rome comme sa ville éternelle , il est loin des préoccupations humanitaires de son fils— mon père est un putain de Noir qui méprise tous les Noirs —se heurte psychanalytiquement au Moïse de Michel-Ange (dans le Rione Monti, dans l’église Saint-Pierre-aux-Liens) quand Fancy, elle, découvre à la télévision, aussi, les ravages d’un séisme d’une magnitude de 8,9, les mêmes images d’une Japonaise miraculée qui fait le lien entre les histoires. Le monde entier est reconstitué autour d’une même articulation, qui l’a secoué. Juan et Paula passe le Golfe d’Aden, en Somalie, quand des pirates attaquent leur catamaran : leur tour du monde s’arrêtera là, parce que le vieux flic en retraite n’a pas voulu s’avouer vaincu. On passe vite à Giorgio et Ernesto, les Italiens, qui se sont liés quand la femme du premier est partie et celle du second est décédée ; ils vivotent, se chamaillent un peu quand le premier convainc le second de partir à la frontière slovène, à Nova Garica, dans le plus grand casino d’Europe ; la veille du départ, les deux sont pris de scrupules et les rôles s’inversent, il est question de la peur de gagner pour l’un, de réhabiliter son image pour l’autre—en aidant son ex-femme à mourir dignement —de Géronimo, le chien, qui s’est échappé, de ce court voyage qu’ils feront quand même avec ceux qui ont payé une misère ce qui va leur coûter une fortune . Alec et Jaycee partent eux pour la Thaïlande avec Samran et Lisbeth : c’est dans ce pays que Jaycee va, petit à petit, se laisser habiter par les esprits , elle, l’Occidentale qui se désole qu’on ne puisse pas parler de ces choses-là chez elle sans passer pour une cinglée . Elle disparait une nuit, et le lecteur remonte l’écheveau de ses failles, de son enfance, de sa maternité, avant de basculer sur une scène d’autostop et de Mc Donald’s, de nouveau, entre Bill et Mojito— un gros lard de Portoricain —destination la Floride ; c’est au comptoir du dîner que les images de CNN leur montrent tout le Nord-Est du Japon rayé en rouge, mais les deux hommes n’y font pas attention ; il y aura l’histoire des deux frères Mitch—l’écrivain qui n’a pas écrit une ligne depuis cinq ans —et Vince, d’un parricide évité de justesse, un conducteur raciste et acariâtre qui n’aime pas Obama, Deanna, la banalité de l’Amérique qui a renoncé , il y a à la télé, dans les brumes de l’explosion de Fukushima, l’idée que le Japon, si lointain, va les emmener ailleurs. Je peux te dire que j’en ai rien à foutre, si tu veux , rétorque Vince. Il y a Disneyland le lendemain pour réconcilier la famille—moins le frère reparti sans un mot—il y a Fumi et ses parents en voyage à Paris, Fumi, qui veut téléphoner à ses grands-parents… au Japon, Autour du monde , c’est l’histoire de tous ces gens qui ne se rencontreront jamais liés par un instant, un seul, celui qui a fait basculer le monde sans que ceux qui n’ont pas été directement touchés lui accordent la moindre importance. C’est l’histoire d’un monde global mais fragmenté, isolé dans chacune des solitudes qu’incarnent la farandole de personnages que décrit Mauvignier, un kaléidoscope de cultures restreint, parfois, au pire de chacune d’entre elles. Quand un événement—un vrai, celui déterminé par son immédiateté, son intensité et son historicité—se déroule dans le monde, chacun se souvient, des années après, ce qu’il faisait à cet instant précis. Laurent Mauvignier s’est une fois de plus servi de ses cercles concentriques narratifs pour se souvenir de ce qui a précédé—juste avant—le 11 mars 2011, ce qui a suivi également : les répliques ne sont pas toujours que sismiques quand le monde a bougé. Autour du monde Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2014) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un grand entretien aux Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir).