“L’armée des frontières” de Paul de Brancion
L’histoire de L’armée des frontières évoque un épisode méconnu de la guerre d’Algérie. Mais c’est beaucoup plus qu’un récit d’action où des types aguerris rampent comme des limaces pour passer la frontière marocaine sous les tirs des mitrailleuses et des obusiers. Car cet Ïssa Walther que nous suivons est un agent sous couverture qui partage son temps entre l’enseignement du Coran aux enfants de Béchar et des opérations d’exfiltration de légionnaires. Ce soldat rigoureux et entraîné est aussi un être spirituel et sensible. Répétiteur coranique il apprenait ainsi aux jeunes à psalmodier les sourates du Coran, et répondait du mieux possible à leurs questions sur Dieu, la vie, la mort ; J’apprenais beaucoup, dit-il, et trouvais là une véritable satisfaction. J’avais avait même réussi à réunir la classe des filles et celle des garçons en obtenant l’accord extraordinaire de Cheik Mekhtoub !
Je disais toujours « Je suis un Arabe occidental » ajoute-t- il en parlant de sa femme qui savait peu de choses sur mon passé sinon que j'étais franco-allemand d'origine algérienne.
En fait, les renseignements de la RFA l’ont recruté pour aider le FLN à retourner des légionnaires français. C’est un conflit secret qui oppose la France et l’Allemagne de l’Ouest qui convient à Ïssa : Ainsi je participe discrètement à la lutte contre le colonialisme français. C’est une mission dangereuse, où son supérieur lui dit d'emblée qu’ils sont susceptibles de se faire descendre par les services secrets français et si le vent tourne, par les services allemands… une fois sur place, Ïssa joue le jeu, d’abord à la mosquée et avec la population. Il
accepte volontiers une virée avec des Touaregs que lui propose un cousin de l’imam : Plonger dans l’immensité du désert, sable, chaleur intense. J’oublie tout, la guerre, la mosquée, le Coran. On est là mi-éveillé, mi-assoupi porteurs de l’évidence d’exister.
Les gens commencent à penser que je fais partie du paysage, mais les horreurs se multiplient à 50 km de là, où le FLN a égorgé une famille de colons et crucifié une petite fille de cinq ans sur la porte… une opération justifiée par l’iman Mokhtar Hodna citant le verset 16 du Coran « Ce n’est pas vous qui les avez tués. C'est Dieu qui les a tués ». Résultat : L'armée française a rasé le douard, mis le feu et a sévèrement réprimé. Ïssa est contrarié, mais comme dans tout bon roman, l’amour avec la très belle fille aînée de l'imam, Ouzia, va bientôt le consoler.
La mission meurtrière programmée va réveiller l’agent dormant qui se retrouve d’un coup au cœur de l'action commando d’exfiltration. L’ennemi harkis contre les Fedayins… mitrailleuses lourdes et grenades offensives contre obusiers mortiers. C’est l'hécatombe. Passage réussi mais onze morts. Ïssa perd connaissance, séquence hôpital, où on dort tous. Silence blanc avec des silhouettes fantomatiques… j’ai repris mon dialogue avec la Gnose. Que faire d'autre quand on a disparu, effacé d'un moment. Et pour ne pas souffrir on invente des stratégies pour dérouter la douleur. Je ne suis pas préparé à ce qui m'arrive. Mon poumon a été transpercé par une balle, on le répare au mieux.
Certes , mais un attentat lors d’une incongrue cérémonie officielle dans la communauté juive va tout faire basculer. Les rivalités entre le FLN et l’ALN rendent la situation intenable. Il y a dans ce panier de crabes, des sales types SS comme Schwartz qui, n’ayant plus de juifs à exterminer, s’offre régulièrement des séances de torture sur les Arabes… Il veut la fille de l'imam liée aux plus hauts dignitaires de l’ALN. Schwartz veut la faire parler dans la baignoire de la chambre obscure… Ouzia aurait-elle organisé l’attentat ? Elle se sent embrigadée et confie à Ïssa que leur amour est voué à l'échec. Les anciens d'Indochine, eux, veulent quitter Algérie, qu’ils estiment perdue. Sébastien Ténèbres, triste dans le regard, raconte qu'après Diên Biên Phû, les Chiens de guerre qui tuent violent torturent en ont assez, au point de vouloir aider les copains à déserter.
En réalité il y a les essais nucléaires lâche Ténèbres, et les conditions effroyables sur la base atomique de Reggan, des tentes igloo en toile et des laboratoires sous terrains. Ce n’est plus un secret depuis que les journaux évoquent les faibles précautions prises, où l’on conseille de tourner le dos aux explosions, de laisser les fenêtres ouvertes. Au moment de « Gerboise bleue », nom du premier essai de la bombe atomique, il fallait aller vite pour France soit puissance nucléaire… je me souviens qu'on entendait rien et on sentait le flash qui vous transperçait comme si on était un corps transparent… « on se voyait à travers » puis le bruit de la bombe. C’était l’apocalypse.
Mission terminée.
Dans la postface qui explique que cette histoire est fondée sur des faits avérés, un post scriptum précise qu’il y a une certaine cohérence à ce que ce roman sorte aux éditions Maurice Nadeau, co-fondateur du Manifeste des 121.
L’armée des frontières
Paul de Brancion
Éditions Maurice Nadeau (2025)









