“Bientôt les vivants” de Amina Damerdji
Comme un manège qui tourne, le roman boucle un cycle, commence et se termine en septembre 1997, avec des analepses en 1988 – 1990 – 1992.
Par la voix de Selma, cavalière émérite, nous assistons à la lente agonie d’une démocratie avortée, l’Algérie, endeuillée, meurtrie, abîmée.
Ils y croient à cette liberté Adel, son ex petit ami ; Hicham, son oncle avocat vénéré, son père médecin Brahim, sa mère, Zyneb, sa grand’mère Mima, sa cousine Maya journaliste… et tant d’autres. Mais pour la conquérir, ils n’ont pas tous la même approche.
Chaque protagoniste a une bonne raison d’agir comme il agit.
Chaque caractère est finement analysé.
Entre les attaques arbitraires lancées contre la population civile par des groupes islamistes armés et les tentatives aveugles des forces de sécurité du gouvernement pour anéantir les éléments islamistes, c’est la guerre civile qui ravage le pays. Et ce n’est pas le président Chadli Bendjedid, qui démissionne en 1992, qui va réparer les vivants — pour emprunter ce titre de roman à Maylis de Kerangal.
Au plus près de l’action, Selma et Sheïtane, son bel étalon, nous entraînent, au rythme de leurs pas, galop ou trot, dans une course qui devrait être salvatrice. Difficile de se sentir bien avec ses proches quand les membres d’une même famille sont divisés. Surtout quand la tradition pèse lourd. Quand Mima pensait à remplir la corbeille de pain du matloua dont la croûte de semoule dorait sur le gril elle qui avait fait l’école ménagère pour apprendre à cuisiner selon la tradition. D’ailleurs, tout le roman est goûteux. Chaque chapitre aiguise les sens. Ici, Zyneb prépare la semoule au chocolat, là c’est Sheïtane qui se régale de gâteaux, ou là encore, Mistinguet, le chat, chourave des reliefs de poissons… Les univers se croisent, les questions existentielles des adolescentes que sont Selma et sa cousine Maya se chevauchent avec les questionnements des adultes sur la bonne voie à suivre… Les personnages sont croqués à vif dans leurs vies quotidiennes, humanisant le propos, le rendant vivant, mais glaçant car les drames, des plus anodins aux plus cruels, se mêlent avec la même intensité dans ce récit bien construit où il est aussi question d’exil, enfin d’éloignement le temps que dure l’orage…
Le livre s’ouvre sur A galopar chanté par Paco Ibanez, sur des paroles du poète exilé Rafael Alberti. Et se ferme sur des remerciements chaleureux.
Un deuxième roman qui donne envie de lire le premier si ce n’est déjà fait.
Amina Damerdji est née aux États-Unis puis a grandi à Alger jusqu’à la guerre civile.
Elle a quitté l’Algérie à l’âge de sept ans et vit à Paris. Après un premier roman remarqué Laissez moi vous rejoindre paru chez Gallimard en 2021, Bientôt les vivants est son deuxième roman.
Bientôt les vivants
Amina Damerdji
Éditions Gallimard (2023)









