FESTIVAL DU LIVRE DE SÈTE

16e AUTOMN’HALLES

DU 24 AU 28 SEPTEMBRE 2025

  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton
  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton
  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton
  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton
  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton
  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton
  • Titre de la diapositive

    Écrivez votre légende ici
    Bouton

Les auteurs et éditeurs locaux et régionaux présents pour la journée  LES AUTOMN’HALLES PRENNENT LA PLACE ! jeudi 25 sept. peuvent participer à la Scène ouverte pour une présentation de leurs ouvrages

DEMANDE D’INSCRIPTION

LE BLOG DES AUTOMN’HALLES

par Laurent Cachard 10 septembre 2025
On commence à connaître l’auteur et son sens du contraire pour ne pas s’étonner qu’il intitule la maison vide un roman de 744 pages plein d’une histoire familiale portant sur deux siècles, trois guerres, trois femmes — de son arrière-arrière-grand-mère Jeanne-Marie à Marguerite, la grand-mère du narrateur en passant par la mère de celle-ci, Marie-Ernestine. Proust. Non, ça n’est pas un canular, ni une coquetterie d’auteur, mais dans la famille de celui qui remontera l’arbre généalogique, on s’appelle Proust, du nom de Firmin, son arrière-arrière-grand-père. Aucun rapport avec l’auteur de la Recherche du Temps perdu , annonce, d’emblée, l’écrivain — même si une dénommée Ernestine Gallou, la cuisinière de son oncle Amiot, inspira en partie le personnage de Françoise, qui fut celle de la Tante Léonie, à Combray — qui livre pourtant un (dernier) roman proustien en diable, par l’exigence de la langue et celle du sujet choisi : l’héritage familial prend la forme, dès le prologue, d’une maison inhabitée depuis longtemps, dans laquelle le narrateur cherche la Légion d’honneur, attribuée à Jules pour le sacrifice de sa vie fait à la Patrie pendant la Grande Guerre, celle qui va faire que les survivants prendront de haut ceux qui iront faire celle d’après, et plus encore — réunis — ceux qui, comme le père du narrateur, connaîtront l’Algérie, sans qu’elle mérite le nom de guerre, pendant des décennies. Puisque les trois générations sont marquées, chacune, par le sceau de la guerre, c’est par l’arrière que Mauvignier — fouillant, brassant et remuant des breloques, des vieilleries, soulevant aussi des odeurs — va décrire une histoire du temps, de la condition des femmes, des mœurs, aussi, en centrant d’abord l’histoire sur Firmin, le patriarche, qui a bâti son empire sur sa ferme, florissante, de la Bassée (évidemment). Mais c’est avec Marie-Ernestine que tout commence , antiphrase-t-il. Parce qu’elle a déçu, malgré elle, le plan de son père : un fils aîné chez les Curés, le deuxième pour reprendre les affaires de la maison et sa petite Boule d’Or pour le plaisir des yeux. C’est ainsi qu’on fonctionne à la fin du XVIII e siècle, mais les deux fils — l’effarouché Anatole, l’évaporé Paul — vont déjouer l’histoire déjà écrite pour eux ; de fait, il serait dit que Marie-Ernestine irait à l’école , comme ses frères, qu’elle y serait remarquable, intégrerait le couvent — elle, la petite de terriens, fortunés, mais terriens, t’es rien — les tableaux d’honneur, l’excellence, jusqu’à ce qu’elle découvre la musique, ce péché véniel , le piano, comme une échappée d’elle-même , constatant que tout son être n’était pas voué sans réserve à Dieu et au Christ . Par l’entremise de sa tante Marie-Caroline, elle va rencontrer Florentin — le bien-nommé — Cabanel, qui lui fera découvrir ses premiers émois, musicaux et amoureux. Est-il possible que cette gamine soit vraiment douée, soit aussi douée pour envisager le Conservatoire de Paris, que cette paysanne arrogante fasse autre chose de sa vie que ce qu’on avait décidé pour elle ? Mauvignier décrit les premières ruptures d’une lignée, d’un fossé qui se creuse avec sa mère, Jeanne-Marie, qui n’existera que quand son mari — qui la frappe raisonnablement et ne pratique que ponctuellement le quasi-viol conjugal — sera parti au front, quand elle devra, comme d’autres femmes avec elle, prendre les affaires en main. En attendant, au tout début du XX e s., c’est conduite par Hégésippe, le cocher, que, chaque semaine, Marie-Ernestine rejoint son professeur de piano, qu’elle rejoint cette musique qu’elle entend à l’intérieur d’elle-même ; il l’initie aux classiques, mais aussi à Maupassant, à Zola — Thérèse Raquin et son élève, Laurent, est-ce que cette vie-là est vraiment possible ? — ils vont au-delà des réticences de la femme de Cabanel ( suppliciée par le plaisir que son mari avait pris à sourire à la jeune fille ) et des nonnes, qui considèrent que cette enfant, versée, désormais, dans l’effronterie, l’aplomb, l’arrogance , ne sera jamais une des leurs. Un fait va marquer l’histoire familiale — et ses mutations — de façon irréversible : Firmin, pour qui rien n’est jamais assez bien pour sa fille, va lui acheter un piano, un vrai, un Pleyel, une anomalie dans une lignée de paysans ; mais dans le même temps, puisque l’époque le veut encore, il lui dit qu’elle va épouser Jules Chichery , un dur au mal, dans ses affaires ; rien qu’à entendre ce nom , elle se renferme, autant que le clavier reste obstinément fermé, pendant des semaines . Pas un mot pour Jules, qui sait qu’elle doit le détester, le mépriser. Ils peuvent rêver longtemps à ce mariage , pense-t-elle, qui va jusqu’à, un soir, avec une paire de ciseaux… Elle en sort et, paradoxalement, plus que les menaces de sorcellerie et d’avenir de vieille fille, c’est Jules qui sortira vainqueur de cette épreuve : elle doit s’avouer que oui, elle passe sa vie à (l’) attendre et lui dit oui, en juin 1905. L’union de la carpe et du lapin , dit-on, dans le village. Quand Firmin meurt, d’une crise cardiaque dans un champ, on lui rappelle comment elle l’a offensé, mais c’est à elle, sa Boule d’Or, qu’il lègue tout — en réalité, absolument tout — reléguant ses fils à la déception initiale qu’ils ont provoquée chez lui. De fait, c’est Jules, l’homme, qui devient le Patron, et quand Marguerite (celle qu’il portait à la boutonnière quand il venait voir sa promise, qui ne lui cédait rien) nait de cette union, en 1913, la guerre peut commencer , dit le narrateur. Qui ponctue son récit d’insères sur l’écriture en train de se faire : tout ça je le raconte vite, je l’invente, mais je sais que tout se déroule aussi vite dans la réalité d’hier ou d’aujourd’hui . La Grande Guerre, ses trois millions d’hommes dressés sous un seul mot d’ordre, Tous à Berlin ! c’est, à la Bassée — la terre basse, la terre inondable , Jules apprendra ça dans le Nord, dans un village homonyme — d’abord une inconnue : ça prendra trois mois ou trois semaines pour arriver là où personne ne sait que Jean Jaurès a été assassiné, et quand la mobilisation est prononcée, on croit relire quelques pages du Voyage (au bout de la nuit) , le cynisme en moins. Pourtant, le cauchemar de Firmin se réalise, lui qui avait marié sa fille pour que la maison ne soit jamais sans un homme , c’est le royaume des femmes qui s’avère et Jeanne-Marie qui se révèle à elle-même, devient la Patronne quand sa fille se réfugie dans un déni musical bien inadéquat. Elle ne s’occupe pas de son enfant mais propose vaguement de s’occuper de ceux des autres — de toutes ces femmes qui triment — puisqu’il faut bien contribuer à l’effort de guerre. Qui se vit via les lettres des Poilus, qui ne savent comment la dire : personne ne voudrait savoir et c’est pour ça que personne ne peut tout dire, ne pourrait tout dire (…) on dit la guerre mais on ne dit pas toute la guerre, non, on ne pourrait pas . Il y a une nuance entre raconter des histoires et raconter une vérité , dit le narrateur pour lui-même, mais il est précis sur les six jours de permission après 17 mois au front, sur la fierté qu’a Marie-Ernestine, désormais, de se promener avec lui après tant de journées à redouter de croiser, sur la route, les gendarmes ou le facteur comme la Faucheuse elle-même . Il ne lui dira pas qu’il a aperçu Florentin Cabanel là-haut, voit sa vie d’avant défiler à travers les regards des uns et des autres , fait connaissance avec l’aigreur des anciens — le grand-père Thirard qui lui demande si on l’a gradé pour le remercier de ne pas être mort , contrairement à son fils, qui n’aura pas droit aux égards — les ragots du village puis reprend son train, six jours après, rassuré — la Patronne tient la maison — sans savoir que la mort attend patiemment qu’il termine son voyage . La suite du récit, en parallèle de l’histoire et de la deuxième guerre mondiale qui ne va pas tarder, c’est la vie de Marguerite, (beaucoup) plus dissolue que celle de sa mère : elle est allée à l’école publique de la Bassée ( bien suffisant ), s’invente , à défaut de l’amour qu’on lui donne, le miracle d’une mère aimante et merveilleuse et d’un père qui l’aurait été, s’il avait vécu . Elle est garçonne, revêche, n’obéit pas à sa mère quand elle lui interdit de l’écouter jouer du piano , trouve les lettres, en deux lots, qu’elle a reçues du front, dévoile les fantômes d’une Marie-Ernestine jeune fille et d’un prof de piano trop délicat et parfumé pour un homme , va être embauchée, jeune fille, chez les vêtements Claude où Paulette, une femme forte , la prendra sous son aile, lui enseignera les amours saphiques et comment faire plaisir aux hommes dans le même temps ( Monsieur Claude veut qu’elle lui appartienne aussi ). Elle connaîtra la luxure, les lupanars et la boisson, saura comment on va aux asperges et y prendra goût. Jusqu’au scandale, le premier, son renvoi, son retour à la Bassée où sa mère va se remarier. L’auteur y va d’un parallèle avec la situation politique, le rôle de Pétain dans la Première Guerre mondiale, celui qu’il aura dans la 2 de : aujourd’hui, l’homme fort de la France est l’ennemi des Français . Marguerite est une forte tête, elle résiste à Rubens, son demi-frère, de fait, aspire à la modernité promise du XX e s. C’est parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure , lâche Mauvignier, qui touche avec Marguerite et André, qu’elle va épouser, ses grands-parents, directement. Il a déjà prévenu d’une absence de linéarité ( Ce n’est pas à ma grand-mère Marguerite que Marie-Ernestine a tout raconté, mais à la fille de cette dernière, la tante Henriette ), jongle avec fiction, fortes suppositions et réalité quand il raconte la petite gouine, ses partouzes, les doutes sur la paternité de Henriette, les avortements possibles de Marguerite, mais aussi l’appel du Général de Gaulle, l’envoi de André à Dunkerque, les Allemands partout chez eux, la ligne de démarcation qui passe par la Bassée de 1941 à 1943 (du côté occupé, forcément). L’omniprésence du Juif dans la politique, à laquelle elle ne comprend rien . Sans rien en savoir, elle passera par les mêmes pulsions de mort que sa mère, avec laquelle, pourtant, elle ne partage rien. Et à force de boire au goulot et de manquer de la chaleur d’un homme, rencontrera un Allemand — c’est sa seule dénomination — qui, puisqu’elle a raté son car pour la première fois de sa vie, la raccompagnera, en escorte, à la Bassée : son cadeau de rupture , dit-il. Il forcera Marie-Ernestine à jouer du Schubert, pour lui. C’est l’épilogue avant l’épilogue d’une Maison vide — elle imaginait ce qui se passerait quand la voiture arriverait devant la maison de sa mère, la maison de Jules, celle de Jeanne-Marie et de Firmin, la maison Proust avant d’être celle des Chichery et a fortiori celle des Douet — dans laquelle l’auteur, qui joue jusqu’au bout sur une ambiguïté qu’il vit lui-même (est-ce de lui dont il parle ? Quand il évoque le suicide de son père, quelle est la part de ce qu’il a vécu en Algérie, dans cette autre guerre qui a mis 50 ans pour dire son nom ?). Cette maison vide , rouverte en 1976, après vingt ans d’abandon et de silence, l’auteur/narrateur la remplit (744 pages !) de cette patate chaude qu’étaient les histoires familiales et laisse un chef-d’œuvre absolu — je pèse mes mots — de littérature, dans sa façon de remonter le cours, chaotique, des vies qui ont précédé et ont généré la sienne. Qui ont fait qu’il s’est retrouvé, sensiblement, confronté à la mort brutale d’un père comme Marguerite l’a été avant lui : on crée des filiations pour moins que ça. La maison vide Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (août 2025) Laurent Mauvignier sera l’invité d’un Grand Entretien des Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 à 18h30 à la Maison Régionale de la Mer à Sète.
par Jean-Renaud Cuaz 5 septembre 2025
ÉDITO Fin septembre, les Automn’Halles lanceront leur 16e édition. Seize années qu’un pari un peu fou a pris vie : celui de faire vibrer une île singulière au rythme des mots, de la lecture, de la musique et de la peinture. Depuis quatre ans, la reconnaissance officielle du Centre National du Livre est venue confirmer ce que les Sétois savaient déjà : que ce festival a gagné sa place dans le paysage littéraire national. Des partenaires fidèles — le réseau des Médiathèques de l’Agglo, le musée Paul Valéry, les librairies, le Plateau, l’Amadeus et désormais la Maison Régionale de la Mer — apportent leurs sites, leurs énergies. Grâce à eux, la littérature s’installe partout, elle respire dans chaque recoin de la ville, elle s’offre au plus grand nombre. Durant cinq jours, les auteurs se disperseront comme autant de semeurs de songes. Dans les classes, pour éveiller les élèves à la puissance des mots. Dans les espaces de rencontre, pour échanger directement avec leurs lecteurs. Dans les dédicaces, pour ce moment simple et rare où une phrase manuscrite scelle un souvenir. Le programme est riche, multiple, ouvert. Il accueille des figures déjà consacrées, et des voix nouvelles qui montent, prometteuses et fragiles. Il fait place aux auteurs et éditeurs locaux et régionaux, car la littérature vit aussi des racines qui nourrissent son terreau. Il tend la main aux talents en herbe, avec son Concours de nouvelles. Pendant cinq jours, Sète se transforme en une île de papier et de voix, où chaque rencontre devient une aventure, chaque lecture un voyage, chaque instant une célébration. Jean-Renaud Cuaz Président des Automn’Halles
par Marie-Ange Hoffmann 2 septembre 2025
« Moi, si on énumère, je suis un mauvais fils, un mauvais mari, un mauvais père. Un mauvais patriote. Moi, je suis surtout un homme qui rit, un homme qui joue. Moi, fils de Jiryis Jawhariyyeh, j'étais roi à Jérusalem. » C’est ainsi que se présente Wasif, le narrateur et principal personnage qui ouvre le roman dans une scène quasiment quotidienne et apparemment anodine : assis dans une gargote à Beyrouth, il entend à la radio l’annonce de l’issue de la guerre des six jours — Seulement six petits jours pour défaire les armées arabes, puis s’emparer de la bande de Gaza, de la péninsule du Sinaï, du plateau du Golan, de la Cisjordanie… Une prise de guerre en particulier ; la plus terrible parce que la plus symbolique. Celle de Jérusalem-Est, la vieille ville sacrée. À peine conquise et déjà défigurée… Une zone qui accueillait les pèlerins d’Afrique du Nord durant le Moyen Âge, qui remontait à Saladin. En dépit ou plutôt à cause du tragique de la situation, Wasif réagit en blaguant : « Jérusalem est comme un oignon. Le meilleur, c’est le cœur : les Juifs aussi sont des connaisseurs ! » Et il trempe un oignon dans son houmous, ce qui lui vaut d’être ouvertement et vertement insulté par un jeune homme qui n’adhère pas à ce genre d’humour. Voulant éviter le conflit et la leçon de morale, il se lève et part, pour nous emmener dans le sillon de son histoire depuis sa naissance en 1887 au cœur de Jérusalem-Est jusqu’en 1948, date où il s’exile au Liban avec ses enfants. C’étaient les temps bénis d’une époque révolue — Une façon d’être au monde, une habitude qui était nôtre, qui nous faisait vivre ensemble. Nous, pas les Palestiniens ou les Israéliens. Nous, chrétiens, juifs, musulmans. Les gens de Terre sainte, comme on disait alors. Laura Ulonati a écrit le roman d’une vie, mais aussi et surtout d’une ville. Une vie : celle de Wasif, librement inspirée des mémoires d’un personnage réel joueur de oud palestinien, chrétien orthodoxe, par ailleurs fonctionnaire sous le mandat britannique ; une ville : fascinante, mosaïque, Jérusalem adorée qui se dévoile à nos yeux et à nos oreilles à travers la voix de Wasif. Une vie et une ville pleines de rêves, de lumière, d’odeurs, de saveurs, de couleurs, et de musique. Car la musique est omniprésente dans le corps et le cœur de cette ville et de ses habitants aux multiples identités. Elle fait surtout partie intime de la raison d’être de Wasif — Oud en arabe, ça désigne un bout de bois… Il représente bien l’exilé au pouvoir limité, mais à la tête dure. L’oud peut dire toute la vie, les jours heureux ou douloureux, la mélancolie… Mieux que des mots, le son de l’oud fait revivre la voix de Jérusalem. Jouer, pour Wasif, c’est une obligation sacrée… Une quête qui fait toujours se quitter, se réincarner . La musique, c’est le souffle poétique du roman qui rythme chaque événement, heureux ou malheureux, joie, chagrin, espoir et destruction. Une musique sublime qui dit la tragédie et célèbre l’humain. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours lié l’amour à la musique. C’est le roman d’une histoire intime et familiale qui se fond dans l’histoire collective. On comprend mieux les changements et les bouleversements par l’intérieur. Jérusalem : Tout a commencé par un regard myope, dans des yeux qui ne voyaient Jérusalem qu’au travers des verres épais de grosses lunettes. Des culs-de-bouteille qui la transformaient en artefact intellectuel, qui refusaient de l’envisager comme une cité simplement habitée, charnelle… Jérusalem, Belle mal-aimée parce que trop regardée par de mauvais amoureux . Ou encore, à propos de la place des Martyrs — ce n’est pas anodin, le nom d’un lieu. Il porte des images qui pénètrent le passant, elles l’infusent à petit feu. Elles le gangrènent, elles lui donnent des idées, lui rongent doucement la cervelle. Laura Ulonati dessine avec délicatesse les portraits de ses personnages. Wasif fait preuve de tendresse mais aussi d’humour désinvolte — C’est vrai, je suis un saoulard. Je bois l’arak comme du petit-lait à longueur de journée, mon haleine empeste . Et surtout, il tient très fortement à ses racines — J’appartenais à Jérusalem, à son passé, à son présent . En exil, face à l’épuisement : J’essaie de voir à travers le rouge et la fumée, à travers le désespoir, mais la vue est bouchée. Alors je ferme les yeux pour écouter. J’aimerais entendre celui que j’étais… Les autres personnages ne sont pas accessoires. Le père campe un personnage haut en couleurs et profondément visionnaire, il a vu juste lors du déchirement de la ville sainte — Il avait deviné dans ce mode de vie séparé le danger d’une première dualité. Un dédoublement de la réalité qui ne plaçait pas civilisation et civilité au même endroit…La fin d’un récit commun qui nous mènerait face à face. En explorant ses souvenirs, son oud en bandoulière, Wasif fait renaître un monde certes révolu mais il le regarde avec une nostalgie qui lui confère une certaine dignité, une foi en l’humanité. Pour lui, la transmission est une nécessité vitale. Laura Ulonati donne une voix à la fois charnelle et poétique à cette ville et ses personnages emblématiques, cette Terre sainte si longtemps déchirée qui, à l’heure actuelle, n’en finit pas de souffrir. Très intéressante est d’ailleurs la mise en abyme de l’actualité dans l’histoire ancienne par des intermèdes montrant des personnages contemporains qui traversent les lieux du roman, pour en souligner les transformations et l’évolution de la situation. Ce roman nous invite à méditer sur le rôle de l’art et la culture comme liens entre les hommes et moyens de résistance à l’oubli, aux fractures, à la séparation. Laura Ulonati a été invitée aux Automn’Halles en 2023 pour son roman Double V . J’étais roi à Jérusalem Laura Ulonati Actes Sud (2025) 
Voir plus de chroniques

ENVOYEZ-NOUS UN MESSAGE

RECEVEZ NOTRE BULLETIN LITTÉRAIRE